Édito

La légion du déshonneur

La légion du déshonneur
Le président français Emmanuel Macron et le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi réunis en 2019 lors du G7. KEYSTONE
Macron

En ce lundi 14 décembre, un affable octogénaire ira frapper au 67 de la piazza Farnese, à Rome, siège de l’ambassade de France en Italie. Certainement habillé de l’un de ses complets un brin désuets fleurant bon l’intelligentsia lettrée italienne, Corrado Augias, c’est son nom, ira solennellement rendre un cadeau reçu en 2007.

L’ambassadeur est sans doute au courant: le journaliste et écrivain vient d’annoncer ses intentions dans La Repubblica. Le présent qu’il restituera n’est autre qu’une Légion d’honneur, plus haute décoration honorifique française, afin de pointer celle accordée lundi dernier par Emmanuel Macron au président égyptien Abdel Fattah al-Sissi. «[Mon geste est] aussi bien grave que purement symbolique, je dirais sentimental. Je sens que je le dois en raison du profond lien émotionnel et affectif que j’ai avec la France», d’où venait son père, écrit le journaliste.

Pour Corrado Augias, al-Sissi s’est «objectivement rendu complice d’atroces criminels». L’ancien député au parlement européen dans les années 1990 mentionne le tristement célèbre cas de Giulio Regeni, étudiant italien retrouvé mort en janvier 2016 le long de l’autoroute reliant Le Caire à Alexandrie, le corps torturé et terriblement mutilé. Doctorant à Cambridge, il menait en Egypte des recherches sur les syndicats ouvriers indépendants. Il avait été enlevé le soir du cinquième anniversaire de la révolution du 25 janvier 2011, probablement par la police ou les services secrets, selon plusieurs enquêtes indépendantes. Depuis, l’affaire empoisonne les relations entre Le Caire et Rome.

Or cette fin de semaine également, alors que paraissaient les mots de Corrado Augias, une lettre poignante de l’Egyptien Patrick Zaki a été publiée sur les réseaux sociaux. Enième appel au secours adressé à sa famille depuis la prison de Tora, au sud du Caire, la missive a été reprise par la presse italienne. Doctorant égyptien en études genre de l’université de Bologne, auteur d’une recherche sur l’homosexualité et membre de l’Initiative égyptienne pour les droits de la personne (EIPR), le jeune homme a été arrêté en début d’année alors qu’il visitait ses proches.

Accusé dans le cadre d’une loi anti-terrorisme 100% fourre-tout, avec de nombreux autres défenseurs des droits humains, il a lui aussi été torturé, comme Giulio Regeni. Sa «détention provisoire» vient d’être prolongée d’au moins 45 jours, au terme d’une audience express qui a vu 750 autres détenus subir le même sort. Dans la lettre, il le souligne: «Je vais mal.»

Alors que la France est l’un des principaux exportateurs d’armes vers l’Egypte, Emmanuel Macron a précisé la semaine dernière qu’il ne conditionnerait pas son partenariat stratégique au respect des droits humains. «Bien au contraire», semble sous-entendre son petit cadeau à ruban rouge.

 

 

 

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