Agora

Modifier le contexte politique et économique

Nigel Lindup réagit à l’agora de Jean-René Moret, parue dans notre édition du 11 novembre.
Climat

M. Moret, pasteur évangélique, trouve les racines de la crise climatique dans notre éloignement de Dieu. Pour rétablir ce qui a mal tourné dans le monde, il suffirait de nous remettre en harmonie avec Dieu et la nature.

Chacun est libre de croire ce qu’il veut, mais je ne vois pas l’utilité d’invoquer Dieu dans la recherche des solutions. La destruction du climat est certes le produit d’un déséquilibre, mais ce n’est qu’en modifiant le contexte politique et économique que nous le rectifierons.

On nous encourage à contribuer à freiner la destruction de notre habitat en triant les déchets ou en renonçant à l’avion ou à la voiture, mais il est naïf de croire qu’en agissant au niveau individuel ou en renouant avec un dieu intangible, nous aurons un quelconque impact sur un problème systémique et planétaire créé par des forces supranationales mais bien humaines. L’envergure du cahier des charges devant nous est hallucinante: arrêter l’extraction des hydrocarbures; inverser la fonte des glaciers et des pôles; restreindre les transports maritimes et aériens, l’usage d’Internet; etc.

Il faut d’abord reconnaître deux propriétés intrinsèques du capitalisme, qui impliquent inévitablement le pillage de la planète, à savoir 1) la production pour le profit plutôt que pour l’usage et 2) la déconsidération des effets soi-disant «externes» de cette production. Par définition, le capitalisme est incapable de satisfaire notre besoin d’une écologie fonctionnante. C’est ce système prédateur et irrationnel, pas notre relation avec Dieu, qui empêche un retour à l’harmonie avec la nature. Il suffit de voir comment, malgré les conclusions unanimes de la communauté scientifique sur l’état du climat, les sociétés privées persistent à menacer notre habitat – et donc leur propre existence! – en intensifiant l’extraction des hydrocarbures et la production du ciment.

Sans environnement sain, pas d’activité humaine, surtout pas économique. C’est à partir de cette réalité qu’il faut chercher des solutions, et ce, auprès de l’Etat, seul système à même de contrer le pouvoir capitaliste. Afin de retrouver l’équilibre, il faut des investissements publics et des mesures d’urgence, à l’instar des actions prises pendant la pandémie. Des gestes pratiques: bridage physique de la vitesse des voitures; subvention de l’isolation efficace des bâtiments; gratuité et expansion des transports publics; suspension des activités inutiles polluantes (F1, croisières…); subvention du commerce bio et de proximité; appui financier à ceux et celles qui perdraient leur travail dans des domaines nuisibles, et une aide à leur reconversion vers des emplois «verts», etc.

Surtout faut-il que nos autorités, à tous les niveaux, mettent enfin leurs lunettes écologiques en évaluant chaque projet ou proposition, renoncent à tout ce qui exacerbe la destruction climatique et prônent la production pour l’usage et pas pour le profit: bref, nous aider à ne pas franchir les limites planétaires.

Néanmoins, il faut croire: croire au pouvoir de notre système démocratique. Hélas, notre foi va être mise à rude épreuve. L’Etat, seul capable de contrer le pouvoir capitaliste? Oui, en principe. Mais la Suisse est membre du Centre international de règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), tribunal d’arbitrage établi pour assurer la primauté des intérêts particuliers sur l’intérêt général. Celui-ci permet à une société privée qui s’estime lésée par des actions gouvernementales contraires à l’économie de marché de porter plainte contre l’Etat: voir par exemple le Mexique, condamné à compenser Cargill pour avoir introduit une taxe sur les sodas pour améliorer la santé de la population; le Guatemala, condamné pour avoir plafonné les tarifs de l’électricité; ou l’Allemagne, obligée à modifier sa politique environnementale à la suite d’un recours de la société suédoise Vattenfall. Si la Suisse capitule ainsi devant le capital, peut-être que notre dernier rempart soit en fait Dieu.

Notre invité vient de Versoix.

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