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Le social ou la providence?

Pierre-Alain Wassmer réagit à la lettre ouverte d’Alexandra Vuichet au Conseil d’Etat genevois, parue dans notre édition du 16 novembre.
Aide publique

J’ai lu avec intérêt la lettre ouverte au Conseil d’Etat d’Alexandra Vuichet. On y lit la précarité de milliers de petits indépendants dans la situation de crise actuelle, et qui n’ont pas reçu un centime d’aide financière. Pour ceux-ci, il est effectivement nécessaire et urgent de «trouver des solutions salariales et sociales pérennes» comme le dit le titre de l’article.

Pourtant, ce discours très reconnaissant envers la Suisse et sa démocratie, et très conscient des dangers de la situation sanitaire du moment, me laisse un sentiment de malaise, en particulier quand on regrette que des RHT et des APG «gracieusement» reçues (relevons les guillemets) soient très insuffisantes en regard de la situation financière des entreprises. Des réductions d’horaires (chômage partiel) et des allocations pertes de gains destinées à aider des personnes devraient donc en fait plutôt sauver des entreprises?

Malaise plus marqué encore avec cette vision de l’injustice qui oppose des salariés qui ont reçu leur salaire sans travailler et d’autres (on comprend les indépendants) qui ont travaillé deux fois plus sans aucun centime de plus. Notons au passage que ces salariés étaient probablement au chômage (les fameux RHT demandées) et n’ont donc perçu au mieux que 80% de leur salaire de la part des assurances.

Le couplet des salariés qui seraient dorlotés, et des indépendants écrasés par les taxes sans jamais rien avoir en retour, qui est sous-entendu dans cette lettre, me semble bien loin de la réalité, même si un bon nombre d’entreprises sont aujourd’hui menacées dans leur existence. J’estime qu’il faut effectivement intervenir pour aider les petits indépendants à surpasser la crise économique actuelle et à sauver les activités qui sont nécessaires à la communauté, mais en tout cas pas au détriment des salariés, de ceux qui se sont battus pour la création et le développement des assurances sociales et de l’Etat social qui est aujourd’hui appelé au secours.

L’Etat social a été rendu possible grâce à des gens qui se sont cotisés pour s’assurer un minimum vital en cas de difficultés, qui ont combattu les tenants du «moins d’Etat» pour garantir une généralisation de cette solidarité. L’Etat social a un coût, ce n’est pas un «Etat-providence» qui tombe du ciel en cas de coup dur, il n’y a rien de miraculeux dans son financement, et les dettes finissent par être payées, même si c’est par les générations futures (de contribuables ou de consommateurs).

Je ne suis pas insensible à la situation de cette dame, bouquiniste et brocante sur les marchés, avec zéro aide étatique, et j’espère de tout cœur qu’elle trouvera l’aide dont elle a besoin mais, par pitié, ne faisons pas un hit-parade des perdants, une compétition des gens dans le besoin et des plus méritants, soyons un peu plus solidaires.

La crise que nous traversons demande une réponse de l’ensemble de la société et non pas un sauve-qui-peut individuel et des tentatives isolées pour grappiller des aides sociales. Cela suppose aussi une réflexion globale, politique, et l’on ose espérer que les mentalités vont changer et que des enseignements pourront être tirés de ces difficultés qui nous font tous souffrir.

Il est temps de tester des solutions comme le revenu de base inconditionnel, qui assurerait un minimum vital à tous, mais aussi de rompre avec la concurrence fiscale en taxant les fortunes et les profits les plus grands, la spéculation, et en combattant l’évasion fiscale. Les solutions sont là, seule la volonté manque, on se demande encore bien pourquoi.

Notre invité vient de Conches (GE).