Chroniques

Un couvre-feu pour les filles!

Polyphonie autour de l'égalité

La polémique autour des sanctions imposées au cycle de Pinchat, à Genève, tout comme les débats sur la «tenue républicaine» qui agitent l’opinion française, montrent une fois de plus la manière dont la société édicte des normes en matière d’habillement, et tout particulièrement envers les femmes. Les réactions suscitées par «l’affaire du T-shirt», tant sur les réseaux sociaux que devant les établissements scolaires, ou encore au travers de prises de position des associations féministes, soulignent le ras-le-bol contre le sexisme et les violences sexistes. Une mobilisation qui a obligé les cheffes des Départements genevois et vaudois de l’instruction publique à faire marche arrière et à suspendre le port imposé du T-shirt.

Disons-le, la pratique en vigueur au cycle de Pinchat à l’encontre des élèves qui n’arborent pas une tenue jugée correcte est choquante. En 2020, on s’attend à autre chose de la part de l’école: une éducation au consentement et au respect, une réflexion collective plutôt que des interdictions discriminantes et des stigmatisations. En effet, la règle de la tenue vestimentaire, laissée à l’interprétation des enseignant-e-s, ouvre grand la porte à la reproduction de stéréotypes sexistes. Plus encore, la sanction prend dans cet établissement la forme d’une humiliation que des filles et des garçons ont très tôt su qualifier de T-shirt «de la honte».

On trouvera sûrement des exemples de sanctions à l’encontre de l’habillement des garçons, mais la plupart des cas relayés dans les médias, ici comme en France, concerne la tenue vestimentaire des filles. Ainsi, au travers de la règle d’une tenue dite correcte et adaptée, l’école confronte de manière précoce les femmes à la condamnation de leur comportement vestimentaire. Rien ne va: nombril à l’air, décolleté, longueur des shorts, des jupes, épaules laissant entrevoir les bretelles du soutien-gorge, maquillage. Quand ce n’est pas l’absence de soutien-gorge qui est sanctionnée. N’oublions pas que les mêmes condamnent également les filles qui se couvrent trop!

Les filles sont rendues responsables de la distraction des garçons, de leur déconcentration, voire de leurs résultats médiocres. Plus grave, la même logique est convoquée pour justifier, une fois adultes, le harcèlement ou des violences sexuelles qu’elles subissent. Les filles et les femmes devraient dès lors adapter leur comportement aux réactions masculines. De leur côté, les garçons, les hommes peuvent continuer à faire ce qu’ils veulent. Cette inversion de la culpabilité, c’est le principe même de la culture du viol. En effet, l’auteur d’un délit voit son action dédouanée par le comportement de la victime. Et pour les femmes, c’est la double peine: responsables et victimes.

Plus largement, ce débat met en évidence les injonctions contradictoires auxquelles les femmes sont confrontées au quotidien. Elles doivent être séduisantes, mais pas trop. Le choix vestimentaire se transforme alors en dilemme: ne pas se dénuder et se faire cataloguer de «garçon manqué», voire de «sainte-nitouche», ou alors revêtir une tenue conforme aux normes dominantes de la féminité et se faire réprimander par le corps enseignant, se faire insulter par les adultes, mais aussi par ses camarades Cette double injonction persiste tout au long de la vie des femmes et dans toutes les sphères où elles sont actives: au travail où il faut être professionnelle, mais féminine; dans la pratique sportive où l’habillement est soumis à une réglementation visant à inscrire la distinction entre le féminin et le masculin (beach volley, athlétisme, tennis, etc.) ou encore en politique (robe jugée indécente dans les murs du Sénat français; interdiction d’arborer des épaules nues au conseil des Etats).

Le deuxième message, dont les répercussions ne doivent pas être minimisées, concerne le rapport au corps. La mode et ses diktats (de minceur notamment) participent largement à un rapport au corps particulièrement torturé pour nombre de jeunes femmes. Mais en imposant aux filles de se couvrir les jambes, le nombril, les épaules, de porter des vêtements larges, l’Etat enseigne de manière insidieuse la honte de ses formes et de son propre corps.

Enfin, ces injonctions vestimentaires apprennent aux filles (et rappellent aux femmes) que leur place dans l’espace public n’est toujours pas légitime, qu’elles ne peuvent pas l’occuper comme bon leur semble, et surtout que si elles veulent s’y mouvoir en toute liberté, c’est à leurs risques. En fait, chaque fois que l’on sous-entend que la tenue sexy est un problème, on réactive la culture du viol.

En 2020, après le mouvement #MeToo et la grève du 14 juin 2019, où filles et garçons ont défilé contre les normes vestimentaires, on n’imaginait pas devoir à nouveau défendre le droit des filles à sortir comme bon leur semble (nombril à l’air, avec ou sans soutien-gorge, avec une salopette ou un col roulé). On ne pensait pas non plus devoir rappeler à des femmes1> Voir La semaine de Delphine Gendre, La Première, 16 octobre 2020. qu’il n’est pas contradictoire de se battre contre l’hypersexualisation et pour le droit des filles à porter ce qu’elles souhaitent. Il est temps que l’Etat, les institutions, mais aussi que nous toutes et tous nous émancipions d’une morale puritaine qui sert le patriarcat et n’est jamais bien loin dans ce débat.

Notes[+]

* Investigatrices en études genre.

Opinions Chroniques Miso et Maso

Chronique liée

Connexion