Oser revendiquer la solidarité
Chacun retiendra ce qu’il veut du bilan des cinq ans de la décision d’Angela Merkel de renoncer à fermer les portes de l’Allemagne aux réfugiés fuyant
la Syrie.
Certains l’accusent d’avoir favorisé la montée de l’extrême droite et des populismes européens. Mais le ver n’était-il pas dans le fruit? Des centres de demandeurs d’asile étaient déjà incendiés en Allemagne. L’Italie, Malte et la Grèce subissent depuis toujours le règlement Dublin et l’absence de solidarité européenne dans la prise en charge des exilé-e-s. La Hongrie d’Órban pratique depuis 2010 la détention des personnes réfugiées.
Instrumentaliser la figure de l’étranger est le fonds de commerce des nationalistes et populistes. Les peurs qu’ils ont attisées en 2015 étaient cultivées depuis des années par un discours traversant le paysage gouvernemental européen au-delà de l’extrême droite. Une rhétorique du rejet, de la stigmatisation, concrétisée dans des lois de plus en plus restrictives, sécuritaires, niant la légitimité des personnes en quête de protection à être là, les criminalisant.
Pour notre part, nous retiendrons du «Wir schaffen das!» qu’il a constitué un tournant face à ce discours dominant. Une posture assumée d’humanité inattendue de la part d’un ou d’une cheffe d’Etat. Il y avait certes du pragmatisme face au déclin démographique allemand dans cette politique et c’est Merkel qui a négocié l’accord européen honteux avec la Turquie d’Erdogan. Mais si elle n’a pu mener à terme son plan de répartir les déplacé-e-s dans toute l’Europe à partir de la Grèce, l’Italie et la Hongrie, c’est que les égoïsmes nationaux européens ont repris le dessus, ceux-ci rechignant à honorer le plan de relocalisation. Le résultat de cet échec collectif se déroule aujourd’hui sur les îles grecques.
Il n’en reste pas moins que la parole de Merkel, en désignant comme insupportables les drames qui se déroulaient aux frontières européennes et l’idée d’en détourner les yeux encore une fois, a donné une légitimité à celles et ceux qui jusqu’ici n’osaient dire leur désapprobation. Un silence et une indifférence que les milieux de défense du droit d’asile, en Suisse notamment, essayaient désespérément de briser à chaque durcissement législatif.
Qui aurait cru aux manifestations de solidarité de septembre 2015? Nous avons été témoins, à Vivre Ensemble, de cet incroyable élan d’ouverture. Aux centaines d’appels, de mails de personnes qui «ne pouvaient plus ne rien faire» a succédé la naissance de multiples associations et groupes solidaires issus de la société civile un peu partout en Suisse. Des citoyennes et des citoyens de tous âges, qui, une fois le premier pas franchi, n’ont cessé de s’engager, d’accompagner, d’aider. Outre une réalité juridique qu’ils et elles découvraient souvent avec stupéfaction, puis indignation («on a voté sur ça?!»), les rencontres, les liens qui se sont créés ont changé leur rapport à l’autre et à la société.
Dans notre édition d’octobre, nous avons justement voulu parler de ces liens, qui transforment la société. De leur caractère essentiel, brusquement révélé par le Covid-19 et le semi-confinement. Leur absence a touché les plus fragiles, qu’ils ou elles soient jeunes, âgé-e-s, quels que soient leur nationalité ou leur statut. Nombre de personnes et associations ont cherché à maintenir ces liens, les recréer, pressentant que leur perte serait dommageable non seulement sur le plan individuel, mais aussi pour la communauté. Et ce que montre cette pandémie, c’est bien la nécessité d’une réponse collective et solidaire.
Notre invitée est coordinatrice et rédactrice de Vivre Ensemble, bulletin pour la défense du droit d’asile. Ce texte est extrait du n° 179 (dossier: «La nécessité du lien»), octobre 2020, asile.ch