Chroniques

Leur courage, nos lâchetés

Transitions

Ces dernières semaines, je me suis sentie dériver vers une sorte d’accablement. Tout comme la nature, qui semblait se repentir de ses canicules estivales … Il faut dire que les nouvelles de la planète ne sont pas bonnes: incendies, tempêtes, errances migratoires, agonies virales, extinction des espèces et rébellion des jeunes. Qu’il s’agisse de pandémie, de climat ou d’asile, les solidarités sont en perdition. Comment faire pour surmonter le sentiment d’impuissance? Se coucher sur la voie publique avec les grévistes du climat? Je voudrais bien, mais j’ai peur de ne pas réussir à me relever! Ecrire cette chronique? Comment pourrait-elle éponger le désespoir des exilés, l’angoisse de celles et ceux que la crise sanitaire précipite dans la pauvreté, la colère de celles et ceux que les humeurs noires du climat dépouillent de tout ce qui faisait leur vie?

Or voici que, le dimanche 27 septembre, une brise salutaire est venue nimber de lumière les brumes automnales qui obscurcissaient nos journées: cinq scrutins, cinq victoires (à 8000 voix près)! Et surtout un taux de participation comme on en n’avait plus vu depuis longtemps, peut-être le signe d’une volonté citoyenne de sortir du tunnel covid, d’une envie d’être le peuple et d’exercer enfin son droit de décider. Peut-être aussi un démenti adressé aux pessimistes qui pensent que la crise sanitaire n’accouchera que d’une régression généralisée vers la compulsion consumériste et l’individualisme calfeutré du chacun pour soi. Alors calmons-nous et reprenons l’analyse de la situation!

Sur le plan sanitaire, les Etats Unis et l’Europe se livrent à une foire d’empoigne indécente pour mettre la main sur les futurs vaccins, au mépris de toute solidarité avec les pays les plus pauvres, dont les populations servent pourtant de cobayes pour les essais cliniques. On apprend cependant que la Russie d’un côté, Cuba de l’autre, sont à bout touchant pour lancer leur propre vaccin et qu’elles entendent le réserver aux pays d’Amérique du Sud et d’Afrique. Bonne nouvelle! A moins que le nom de Spoutnik donné au vaccin russe soit l’indice d’une résurgence de la guerre froide…

En matière de migration, la situation est plus dramatique. A mi-septembre, sur l’île de Lesbos, l’incendie du camp de Moria fut le désastre final d’un scandale persistant: depuis des années, la politique «régulière» de rétention, appliquée à des migrants dits «irréguliers», constitue une entreprise de criminalisation et de déshumanisation. Combien des demandeurs et demandeuses d’asile soudainement privés de tout abri ont-ils été relocalisés dans nos pays? A ma connaissance, aucun. Intrépide, la conseillère fédérale Karin Keller Sutter envisage d’en accueillir vingt. Vingt sur 12’000! La honte! La Confédération a convoyé une aide humanitaire (notamment des masques!) et des techniciens pour fournir de l’eau potable. S’il s’avère que ce sont bien des requérants, par exaspération, par désespoir, qui ont eux-mêmes allumé l’incendie, ce n’était sûrement pas pour demander de l’eau. On ne brûle pas sa maison pour qu’une bonne âme vienne vous amener un matelas, mais plutôt pour s’évader vers la liberté. En revanche, la société civile s’indigne de cette inaction et de l’inadéquation de l’aide: on proteste, on sort le stylo, on pétitionne. Plusieurs villes suisses se mobilisent et s’activent pour offrir des places d’accueil.

L’incendie a aussi accéléré l’annonce par l’Union européenne d’un nouveau «pacte migratoire» impliquant l’abrogation de l’accord de Dublin. Applaudissements chez les défenseurs du droit d’asile, qui honnissaient ce cruel mécanisme de désolidarisation, même s’il apparaît que le nouveau système ne va probablement pas abattre les murailles de la forteresse Europe. Ils ne baisseront pas les bras, même devant les juges qui les condamnent pour «délit de solidarité». Les capitaines des navires de sauvetage scrutent inlassablement les mers, les arpenteurs des cols alpins partent en maraude pour amener à bon port les migrants égarés, les bénévoles des associations soutiennent inlassablement les déboutés et les sans-papiers. Un sentiment de gratitude face à leur inlassable engagement atténue mon accablement.

Quant à l’urgence climatique, hurlée, scandée, mise en scène jusque sur la place Fédérale, elle est aussi insultée, jugée et finalement évacuée par la force. Le courage des activistes du climat et la façon dont ils expriment leur effroi face aux menaces de cataclysme ont énervé certains parlementaires fédéraux au-delà de toute décence, preuve évidente de l’impact de leur manifestation. Le très distingué Philippe Nantermod a trouvé ça «crade, moche, illégal». Rappelons-lui que les catastrophes climatiques, la misère, le malheur c’est encore bien plus moche et crade. Mais c’est hélas encore légal!

Notre chroniqueuse est une ancienne conseillère nationale.
Publication récente: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, 2018.

Opinions Chroniques Anne-Catherine Menétrey-Savary

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lundi 8 janvier 2018

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