Un pays qu’on voudrait domestiquer
A peine un mois après la sortie de Flic, l’enquête en immersion de Valentin Gendrot témoignant de l’omerta au sein de la police française, Un Pays qui se tient sage arrive sur les écrans. La sortie de ce documentaire consacré aux violences policières, en particulier celles exercées contre les «Gilets jaunes», est incontestablement un événement. Son réalisateur, David Dufresne, est un des rares journalistes spécialisés sur les questions de sécurité publique qui ne court pas les scoops judiciaires et n’a donc aucun compte à rendre à la maréchaussée.
Durant plus d’un an, David Dufresne s’est échiné à compiler chaque exaction policière, documentant leur montée en puissance et – par effet miroir– leur invisibilisation par les médias mainstream. Des canaux restés longtemps alignés sur le récit officiel d’un mouvement social ontologiquement violent et marginal.
Violent et marginal, le mouvement des Gilets jaunes l’est sans doute devenu a posteriori. Mais à qui la faute? Qui se souvient de cette vague contestataire de la fin de l’année 2018, charriant les déclassés de gauche comme de droite, de barrages filtrants en cortèges populaires, sur l’ensemble du territoire hexagonal? Une image enfouie dans les mémoires depuis que le rouleau-compresseur d’une répression systématique – systémique – s’est abattu sur les contestataires, sélectionnant les plus déterminés, radicalisant une poignée d’autres.
L’intimidation des foules et la manipulation politique de la violence n’est évidemment pas l’apanage de la France. Mais la centralisation et la militarisation des forces de l’ordre ont tendance, plus qu’ailleurs, à les couper de la population. Armées d’occupation dans les quartiers difficiles. Armées de pacification de foules anonymes et jugées hostiles.
Véritables Etats dans l’Etat, la police nationale et la gendarmerie ne souffrent pourtant aucune critique en France. Et avec Emmanuel Macron, jeune politicien aux vieux réflexes, verticaliste faussement moderne, elles se savent à l’abri. Le chef de l’Etat mise sur ses forces de l’ordre pour éteindre les révoltes inévitablement provoquées par son projet néolibéral. Et joue, s’il le faut, les matamores pour couper l’herbe sous le pied de Marine Le Pen.
A un an et demi d’un scrutin où le président sortant voudrait nous rejouer la scène du Bon face à la Brute, le décorticage de David Dufresne est de salubrité publique.