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Faire payer un tribut au reste du monde

L’agressivité affichée par les Etats-Unis sur la scène internationale a des origines fiscales, avance l’économiste belge Xavier Dupret. Eclairage.
États-Unis

La progression des inégalités aux Etats-Unis a été impressionnante depuis le début des années 1980. Le décile (c’est-à-dire la part correspondant à 10% d’une population donnée) regroupant les contribuables les plus riches des Etats-Unis détenait 35% du revenu national en 1980 contre 47% en 20161>World Inequality Database, 2017..Il existe donc d’importantes marges de manœuvre pour pratiquer de la redistribution fiscale outre-Atlantique.

En 2018, la fiscalité au sein des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) représentait, en moyenne, 34,26% du PIB des Etats membres. Cette moyenne englobe des pays émergents comme le Chili, le Mexique ou la Corée du Sud. Aux Etats-Unis, la pression fiscale était, en 2018, de 24,33% du PIB. Seuls deux Etats membres de l’OCDE redistribuaient moins que les Etats-Unis à cette époque. Il s’agit du Mexique et du Chili, dont les pressions fiscales respectives étaient de 16,18 et 21,07% du PIB. La Corée du Sud, pour sa part, partageait davantage la richesse que les Etats-Unis avec une fiscalité équivalant à 28,42% de son PIB. Hormis deux nations latino-américaines, les Etats-Unis sont donc devenus, sous Trump, le pays le moins redistributif de l’OCDE2>OCDE, juin 2020..

Si les Etats-Unis avaient perçu l’impôt à hauteur de la moyenne de l’OCDE, le gouvernement américain aurait engrangé, en 2018, des recettes fiscales supplémentaires jusqu’à 10% du PIB, c’est-à-dire 2000 milliards de dollars au total. Les déficits budgétaire et commercial du pays auraient été plus que compensés. Dans ce cas de figure, les Etats-Unis auraient, en effet, bénéficié d’un excédent budgétaire de l’ordre de 4% de leur PIB, à poser face à un déficit commercial de 3,11% du PIB.

Le Bureau du budget du Congrès américain (CBO), soit l’agence fédérale qui fournit aux parlementaires américains des rapports et des prévisions sur les questions économiques, avait estimé, en janvier 2020 (avant donc la crise de la Covid-19), que le déficit public passerait de 4,5% en 2020 à 5,4% du PIB en 20303>Congressional Budget Office, The budget and Economic Outlook: 2020 à 2030, janvier 2020, p. 6..Les projections du CBO tablaient, à cette époque, sur des déficits de 1000 milliards de dollars pour 2020 et 2021. Une récente actualisation de ces données par le CBO indique que le déficit lié à la crise Covid sera de 3700 milliards de dollars en 2020 et de 2100 milliards de dollars l’année suivante. Les déficits fédéraux pour ces deux années seront donc abyssaux puisqu’ils représenteront au bas mot 16,65% en 2020 du PIB US et 9,45% en 20214>Congressional Budget Office, réponse au sénateur Rick Scott (Budgetary Effects of the 2020 Coronavirus Pandemic), 5 juin 2020, p. 3, www.cbo.gov/system/files/2020-06/56388-CBO-Scott-Letter.pdf. Date de consultation : 6 juin 2020. Calculs propres..

Ce sont là des niveaux bien plus importants que lors de la Grande Récession des années 2007-2012. En imaginant qu’à partir de 2022-2023 la situation des déficits redevienne conforme au scénario initialement prévu par le CBO, on peut établir que la moyenne des déficits du secteur fédéral étasunien sera de 6,175% du PIB pour la période 2021-2030. Pour faire face à ce défi, l’oncle Sam va devoir chercher un financement sur les marchés pour au moins 13 000 milliards de dollars (en valeur 2020). La pression impériale des Etats-Unis n’est, dans ces conditions, pas près de diminuer.

La tentation sera, en effet, grande pour Washington de faire payer un tribut au reste du monde dans les années à venir pour financer un tel niveau d’endettement. La monnaie d’échange sera la «protection» militaire américaine. Cette politique qui consiste à montrer les dents serait plus agressive encore si d’aventure elle devait être mise en œuvre par les Républicains. Ces derniers sont, en effet, moins enclins à pratiquer des politiques de redistribution fiscale. Par conséquent, les années durant lesquelles ils ont occupé le pouvoir se sont systématiquement caractérisées, depuis l’élection de Ronald Reagan en 1980, par une aggravation des déficits publics et parallèlement, une affirmation de l’hegemon américain sur la scène internationale. La boucle se boucle…

Notes[+]

Notre invité est économiste auprès de la Fondation Joseph Jacquemotte (Bruxelles).

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