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Un petit pas dans la bonne direction

Même si la formule n’est pas optimale, le congé paternité de deux semaines soumis aux urnes ce dimanche constitue, selon Emmanuel Deonna, une avancée en matière d’égalité. Dans l’attente d’un véritable «modèle à trouver».
Congé paternité

Au regard d’enquêtes récentes, les couples suisses ont des enfants selon le modèle familial traditionnel, ou alors ils n’en n’ont pas. Nombre de citoyen-ne-s sont contraints de renoncer à fonder une famille. Les mesures d’aide en faveur des enfants – en termes d’allocation, d’impôts ou de structures d’accueil extrascolaire – sont insuffisantes. A cela s’ajoute l’absence de congé parental égalitaire. Le congé maternité de quatorze semaines a été conçu pour permettre à la mère de se remettre de l’accouchement, de la fatigue et du risque de dépression post-partum. Or, en se retrouvant seule à la maison, c’est rarement le cas. La Suisse demeure le seul Etat d’Europe où les hommes actifs n’ont droit à aucun congé lorsqu’ils deviennent pères! Cette politique familiale défaillante est un obstacle majeur à la conciliation entre travail et vie privée. Et elle trouble l’équilibre conjugal.

En offrant si peu de temps aux pères auprès la naissance de leur enfant, les représentations genrées des rôles sociaux se figent et les inégalités perdurent. La mère est considérée comme le parent principal et le père comme le parent accessoire dès que les premiers soins sont prodigués. Ainsi, des attentes sociales et des stéréotypes éculés se perpétuent. En dépit des aspirations égalitaires, l’enquête sur les familles et les générations de 2018 démontre que les inégalités genrées s’exacerbent dès la naissance du premier enfant. Les pères qui peuvent s’occuper de leurs enfants sont ceux qui sont en position professionnelle et sociale de le faire (ils travaillent à des postes où les conditions sont favorables). La revendication des pères pour un congé paternité est née à la suite de l’introduction du congé maternité. Celui-ci a été obtenu de haute lutte en 2005 grâce à l’action des femmes. Il aura fallu soixante ans de combat acharné et cinq échecs en votation!

Le congé paternité de deux semaines aura plusieurs effets positifs. Il permettra aux pères d’établir une relation avec leurs enfants à un moment crucial de leur développement psychoaffectif. Il facilitera la conciliation entre travail et vie privée en étalant le congé sur plusieurs semaines et en permettant aux pères de travailler à un taux réduit au moment où les mères reprennent leur activité. Enfin, des taux d’activité et des horaires plus flexibles pourraient permettre d’aborder le travail un peu différemment tant sur le plan social qu’individuel.

Cependant, le congé paternité à lui seul ne changera pas le contexte dans lequel les individus évoluent. Faute d’aides et de structures adéquates, de nombreuses jeunes femmes se projetteront toujours dans des professions qui leur permettront de se retirer ou de faire un pas de côté après avoir accouché. Aujourd’hui, un nombre très restreint de pères s’occupent majoritairement des tâches domestiques. Rares sont malheureusement les couples où celles-ci sont réparties de manière égalitaire.

Selon les experts, plutôt qu’instaurer une assurance paternité au rabais, il faudrait étudier sa durée optimale, en s’inspirant notamment des modèles nordiques. Les couples avec deux parents à temps partiel sont rares en Suisse. De nombreux hommes sont contraints de ferrailler avec leur employeur pour l’obtenir. Enfin, le congé paternité de deux semaines ne concerne pas les familles dont les parents sont adoptifs et les couples de même sexe. Le droit suisse ne prévoit pas de congé d’adoption. Cela est d’autant plus dommageable qu’il est aussi essentiel d’avoir du temps d’accueillir un enfant dans le cadre d’une adoption. La présence des parents est indispensable pour créer un espace sécurisé et nouer les premiers liens. Le mieux serait de pouvoir bénéficier d’un congé garantit par l’employeur. Des solutions de ce genre peuvent être trouvées dans certains contrats de travail, conventions collectives, règlements d’entreprise ou par le droit cantonal.

Pour les couples gays, un des deux pères est forcément exclu du congé paternité, et le congé d’adoption est insuffisant. Entrée en vigueur le 1er janvier 2018, la loi permet aux personnes vivant en partenariat enregistré ou en concubinage d’adopter l’enfant de la personne avec laquelle elles sont en couple. Cependant, l’adoption conjointe d’enfants de tiers demeure quant à elle interdite aux couples homosexuels et aux concubins.

En bref, pour un pays aussi conservateur que le nôtre, le congé paternité sur lequel nous votons doit être vu comme une avancée sociétale même s’il ne concerne que les pères biologiques et les pères hétérosexuels et que sa durée est limitée.

Notre invité est député au Grand Conseil genevois, PS.

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