Suisse

Les avionneurs la jouent propre en ordre

Contrairement à 2014, le lobbying des constructeurs d’avions de chasse reste sur la retenue
Les avionneurs la jouent propre en ordre
Le Rafale de Dassault, l’un des quatre jets en lice en cas de oui le 27 septembre. Keystone
Armée

Un décor idyllique, et le charme de la tradition. Les courses de ski du Lauberhorn, à Wengen, déchaînent chaque année les passions et attirent la foule. Pour Saab, l’occasion était trop belle. Le fabricant suédois y avait vanté en 2014 son avion de combat Gripen, quelques mois avant la votation populaire. Mal lui en a pris. Même les partisans du jet avaient critiqué son offensive, et les reproches d’ingérence avaient fleuri. En deux mots, ce «lobbying» avait raté sa cible.

Six ans ont passé depuis le «non» du peuple au Gripen, et de l’eau a coulé sous les ponts. Les méthodes de lobbying («défense d’intérêts») ont évolué. Du côté des constructeurs, le scrutin du 27 septembre prochain sur les jets de chasse se prépare différemment. Exit les grandes campagnes tape-à-l’œil et les invitations. Le temps des exposés se voulant avant tout «techniques, objectifs et informatifs» est venu. La discrétion est de mise. On se fait voit moins voir, moins entendre. A priori, c’est étonnant. Car avec quatre jets en compétition, les conditions semblent réunies pour une danse endiablée, un bal enflammé, un lobbying de tous les instants entre des postulants avides de victoire.

Calme apparent

Ce calme apparent résulte en partie du type de votation. La question posée au souverain annule la concurrence entre avionneurs. Cette année, et contrairement à 2014, les Suisses ne se prononceront pas sur le modèle ou le nombre de jets, mais seulement sur le principe. Ils diront s’ils veulent accorder six milliards de francs au Conseil fédéral pour acheter de nouveaux avions de combat. Et ce n’est qu’en cas de «oui» – les sondages sont favorables – que le gouvernement choisira parmi les quatre compétiteurs: le français Rafale, l’européen Eurofighter et les américains F-35 et F/A-18 Super Hornet.

«Le lobbying est cette année inexistant, car il est sans objet. Les jets ne se font pas directement concurrence et il n’y a pas de débat sur leurs capacités techniques», assène un connaisseur des constructeurs. «Cela ne valait pas la peine de plaider pour ses intérêts: le Parlement n’a pas choisi l’avion. Avant le vote de 2014, quand on allait voir les parlementaires, ils nous disaient ‘le représentant de l’autre avion vient de partir’», illustre un lobbyiste chevronné.

«Le lobbying est cette année inexistant»

Conseil fédéral et Parlement se sont bien gardés de trancher et de proposer un jet au citoyen. Tous les constructeurs sont donc dans le même bateau ; ils ont tous intérêt à ce que le «oui» l’emporte. Il y a six ans, c’était différent: les appareils écartés par les autorités souhaitaient ardemment que le Gripen perde dans les urnes, pour qu’ils puissent ensuite revenir dans la course. Cela s’était traduit par des fuites dans les médias affaiblissant le chasseur suédois.

Cette année, le climat s’est adouci. «Les constructeurs en lice dans Air2030 (le projet soumis au vote, ndlr) ont bien intégré la leçon de 2014. Ils observent tous une bonne retenue», constate un officier. «De manière générale, ils ont compris qu’un processus politique est en cours, que la population se prononce sur un principe, et que claironner ‘mon avion est le meilleur’ risque fort d’être contre-productif.»

L’angoisse d’une nouvelle défaite

Cette attitude réservée, presque polissée, n’est pas due qu’à un effort d’autocritique des fabricants. Le Département fédéral de la défense (DDPS) est passé par là. Angoissé à l’idée de reperdre une votation sur les Forces aériennes, il tient à éviter toute impression de favoritisme ou d’ingérence extérieure. Il rappelle avoir «recommandé aux candidats de communiquer publiquement avec retenue». Et la ministre Viola Amherd a placé un garde-fou supplémentaire, en interdisant à ses hauts fonctionnaires et aux officiers professionnels de prendre part à des réceptions ou manifestations tenues par des avionneurs ou par leurs pays d’origine. Cela n’a pas empêché les constructeurs de sponsoriser certains événements. Mais ils se sont tournés vers les sociétés de militaires de milice et les cercles industriels.

Dans un autre genre, les médias généralistes n’ont certes pas été sponsorisés financièrement, mais invités à quelques séances «d’information». On se rappelle de l’apéritif de Lockheed Martin. Et du voyage de presse organisé par Saab en Suède, avant qu’il soit exclu du concours pour insuffisances techniques.

Ces sollicitations sont restées éparses. «C’est le calme avant la tempête», prédit un initié, estimant que la bataille démarrera après le vote du 27 septembre, dans la phase précédant le choix de l’avion. «Je pense au contraire que le climat actuel perdurera», juge un autre. «Cette année, le débat portera sur la géopolitique, le pays du fabricant, et l’Etat dont la Suisse compte se rapprocher.» Mettre l’accent sur ces aspects permettrait en tout cas au Département de la défense de maintenir la sérénité…

Suisse Philippe Boeglin Armée

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