Nouveau refuge pour un criminel de guerre
Alors que s’ouvre à La Haye le procès en appel du Serbe Ratko Mladic, un second chef de guerre, non moins sanglant, vient de faire un pas décisif pour éviter ses juges. Salvatore Mancuso, dernier patron des Autodéfenses unies de Colombie (AUC), sera en effet extradé par les Etats-Unis vers l’Italie, dont il possède la nationalité, plutôt que vers la Colombie, pays dans lequel il est poursuivi pour plus de 70’000 forfaits.
C’est la seconde fois que le chef paramilitaire est opportunément dégagé vers l’étranger pour éviter qu’il ne révèle les secrets de la campagne de terreur menée conjointement par les AUC et l’armée régulière au tournant du siècle, avec le soutien bienveillant du gouvernement des Etats-Unis et de son «Plan Colombie». En quelques années, les assassinats ciblés et massacres de dizaines de milliers de paysans et de leaders sociaux avaient poussé des millions de personnes à l’exil, interne ou externe, privant la guérilla des FARC et de l’ELN de bases arrières, et conduisant à des appropriations massives de terres, qui ont ouvert des régions récalcitrantes à toute sorte de mégaprojets agraires et miniers.
Terminée par un accord de «démobilisation» (2003-2006), censé offrir une relative impunité aux exécutants de ces basses œuvres, l’affaire avait toutefois rebondi avec les incarcérations, dès 2007, de dizaines de politiciens pour leurs liens avec les organisations paramilitaires. Sous la menace de la Cour suprême de Colombie, qui souhaitait entendre les chefs des milices, ces derniers avaient été expédiés aux Etats-Unis expier – en silence, merci – leurs liens avec le trafic de drogue. La plupart y coulent désormais des jours heureux.
Trop bavard et trop emblématique, bien trop lié au clan de l’ex-président Alvaro Uribe, dont il connaît nombre de secrets, Salvatore Mancuso, qui a désormais purgé sa peine pour trafic de stupéfiants aux USA, avait besoin d’un nouveau refuge. L’Italie de son père, qu’il a naguère arrosée de coke colombienne et où il a sans doute placé quelques fonds auprès de ses anciens complices de la ‘Ndrangheta, fera bien l’affaire. D’autant qu’aucun accord d’extradition ne lie l’Italie à la Colombie.
A Bogota, le président, Ivan Duque, fait mine de s’insurger contre la décision étasunienne. Mais ce proche d’Alvaro Uribe peine à expliquer pourquoi son gouvernement a multiplié les erreurs juridiques et les volte-face depuis que la justice colombienne a jugé M. Mancuso extradable. Des «couacs» d’autant plus regrettables qu’«el Mono» avait promis de nouvelles révélations aux juges enquêtant sur les liens entre l’ancien chef de l’Etat et ses «paras», en cas d’extradition en Colombie. C’est trop bête.
Il n’y a plus qu’à espérer que l’Italie se souvienne que les crimes de guerre et contre l’humanité sont imprescriptibles. Et se réjouir que le témoin Salvatore Mancuso sera finalement plus difficile à éliminer en Calabre ou à Salerne qu’à Bogota…