Descente aux enfers
Le Mali prend l’eau de toutes parts. Crise sécuritaire, sociale, politique et maintenant… militaire. Le coup d’Etat perpétré mardi contre le président, Ibrahim Boubacar Keïta, est perçu par certains comme la conclusion logique de l’obstination du gouvernement à ignorer les revendications légitimes de la rue. Une petite foule fêtait l’évènement hier à Bamako. Depuis plusieurs mois, le pays est confronté à un mouvement de contestation large et hétéroclite – réunissant société civile, chefs religieux et hommes politiques – réprimé dans le sang. Au moins quatorze manifestants ont été tués en juillet. Si la grogne est née à la suite de potentielles fraudes lors des élections législatives de mars-avril, les critiques contre le gouvernement ont fusé tous azimuts: corruption, gabegie, incapacité à répondre aux besoins fondamentaux des populations, impuissance de l’Etat vis-à-vis des groupes armés djihadistes, abdication face aux ingérences postcoloniales de la France, etc.
Cependant, au-delà du caractère inacceptable de tout coup d’Etat, l’armée malienne ne peut guère se présenter aujourd’hui en sauveuse du pays. D’abord parce que, profondément divisée, elle est elle-même gangrenée au plus haut degré par des affaires de corruption et de malversations de toutes sortes. Certains gradés sont mêmes accusés de recevoir des pots-de-vin de groupes terroristes, de participer à des trafics de drogue, d’envoyer les simples troufions à une mort certaine et de commanditer ou de tolérer des exactions contre des civils. Au lieu de sécuriser le pays, le dernier putsch en date, celui de 2012, a au contraire donné l’opportunité aux groupes rebelles et djihadistes de prendre le contrôle de près de la moitié du territoire. C’est ce qui a permis à l’armée française de justifier son intervention, qui a pris racine depuis lors avec l’opération Barkhane.
La descente aux enfers du Mali, pays donné en exemple à bien des égards jusqu’aux années 2000, est clairement liée à une guerre particulièrement inefficace et inique contre les groupes armés implantés dans le Sahel. La rhétorique de la lutte contre le terrorisme ne prend pas en compte les raisons profondes du mécontentement des populations laquelle alimente ces mouvements armés et dégénère en conflits communautaires: le délaissement de régions entières de la part de l’Etat, l’absence de perspectives pour les citoyens, le favoritisme communautaire des institutions, les détournements des fonds publics, etc. Les racines véritables du djihadisme ne se trouvent ni dans l’islam ni dans la déstabilisation de la Libye, qui a permis l’afflux d’armes au Mali, mais dans l’injustice, le pillage d’Etat et l’abandon. En adoptant une réponse exclusivement guerrière à la question rebelle et terroriste, l’Etat malien – aiguillonné en ce sens par le gouvernement français –, a creusé sa propre tombe.