Le droit au secours de la justice sociale
En février 2018, la Cour des comptes de Genève publie un rapport au sujet des requérant-e-s d’asile mineur-e-s non accompagné-e-s qui fait état de divers manquements de l’Etat. Le document met en lumière l’absence de prise en charge adéquate, s’agissant tant de l’hébergement que de l’accompagnement socio-éducatif. Il révèle diverses difficultés d’accès au droit, notamment de respect effectif des droits humains des jeunes personnes migrantes, qu’elles relèvent de l’asile ou non. Pour la Law Clinic de l’université de Genève, il marque le début des travaux sur cette thématique, qui aboutiront à la publication d’une brochure sur les droits des jeunes personnes migrantes non accompagnées cet automne.
Par la suite, une véritable mobilisation collective émerge autour de ces questions. Au début de l’année 2019 se tiennent les «Assises enfants et jeunes migrant-e-s non accompagné-é-s», très vite rejointes par le Collectif de lutte des MNA qui, lui, se mobilise pour les droits des mineurs non accompagnés sans statut légal et réclame des conditions de vie digne et l’accès à l’école.
De son côté, la Law Clinic poursuit les recherches académiques sur ces mêmes thématiques. Créé en 2013 à la Faculté de droit de l’université de Genève, le programme sur les droits des personnes vulnérables tente de répondre à un besoin d’information juridique identifié tant par les personnes concernées que par les différentes actrices travaillant avec elles, visant ainsi un objectif de justice sociale en même temps qu’une formation pratique pour les étudiantes. En cela, la Law Clinic s’inscrit dans la tradition de l’enseignement clinique du droit issue des Etats-Unis et s’inspire des pédagogies critiques selon lesquelles «le but de l’éducateur n’est plus seulement d’apprendre quelque chose à son interlocuteur, mais de rechercher avec lui les moyens de transformer le monde dans lequel ils vivent», comme le formule le pédagogue Paulo Freire dans son ouvrage majeur Pédagogie des opprimés. C’est cette approche qui sous-tend la méthode d’enseignement de la Law Clinic.
Penser le cours de manière à amener les étudiantes à mener une réflexion critique sur le droit et ses limites, repenser la manière dont le droit est enseigné, favoriser une méthode d’apprentissage professionnalisante tout en s’interrogeant sur la manière dont le droit est exercé, éviter de tomber dans les écueils de l’altérisation face aux personnes concernées par les recherches menées, tels ont été les objectifs que nous nous étions fixés en tant que responsables du cours. En d’autres termes, nous souhaitions que l’éducation puisse être un outil d’émancipation, comme le suggère bell hooks dans son livre sur la pédagogie Apprendre à transgresser. Avons-nous atteint cet objectif? C’est cette fois aux étudiantes de nous évaluer et de se prononcer là-dessus.
Ainsi, la Law Clinic est un séminaire de master en droit un peu particulier en ce qu’elle vise deux objectifs qui parfois s’entrechoquent et peuvent même paraître contradictoires: un objectif pédagogique et un objectif de justice sociale avec, comme outil principal, le droit.
C’est d’ailleurs dans ce double objectif que les anciennes étudiantes ont souhaité rédiger les chroniques qui paraîtront dans les semaines à venir: vulgariser leurs recherches et en analyser les résultats au regard des droits humains.
Cela ne changera peut-être pas le monde, mais cela permettra de mettre en lumière la nécessité de construire et penser un monde où l’accès aux droits serait garanti à tout un chacun.
VISTA ESKANDARI et NESA ZIMMERMANN, coresponsables de la Law Clinic sur les droits des personnes vulnérables de l’université de Genève.