Agora

Fouiller, fouiner, humilier

Aldo Brina, du Centre social protestant, s’insurge contre le projet de loi autorisant le Secrétariat d’Etat aux migrations de fouiller dans les téléphones portables des requérant-e-s d’asile pour les identifier.
Asile

Il y a une constante en politique suisse: la loi sur l’asile doit toujours être en révision. Même si elle a été complètement révisée un an plus tôt. Le parlement trouve toujours le temps. Même en pleine crise sanitaire. Même en pleine crise économique. Toujours. C’est ainsi que, sous l’impulsion d’un conseiller national de l’UDC, une commission du Conseil national a élaboré cet hiver un avant-projet de réforme visant à permettre au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) de fouiller dans les téléphones portables, et autres supports de données numériques, des requérant-e-s d’asile. L’objectif affiché est d’équiper le SEM d’un nouveau moyen de déterminer leur identité, leur origine et l’itinéraire emprunté pour venir en Suisse (point déterminant pour l’application de l’accord de Dublin).

Dans la procédure d’asile actuelle, le SEM dispose déjà d’un ensemble de sources pour établir ces faits: les affirmations des demandeurs-ses d’asile, les moyens de preuve qu’ils ou elles apportent (d’ailleurs, spontanément parfois, des données sur leurs téléphones), les questions posées lors des auditions, les analyses de connaissances linguistiques et sur le pays d’origine, etc. La fouille des téléphones portables ne serait donc qu’un moyen supplémentaire.

Les Centres sociaux protestants, de concert avec les autres associations de défense du droit d’asile, s’opposent à cet avant-projet. Un téléphone portable contient les échanges personnels, les photos, les vidéos, les listes de contacts, les données de géolocalisation. Le consulter peut dévoiler des éléments de la vie privée que la personne détentrice a le droit de garder pour elle: ses liens intimes, des informations sur son orientation sexuelle, ses faits et gestes les plus personnels, etc. Fouiller dans la vie privée d’une personne, devant elle, alors qu’il existe d’autres moyens d’établir les faits, représente une atteinte disproportionnée à sa vie privée. Et le respect de cette vie privée est un droit fondamental.

Conscient de cette atteinte, qui est ici bien moins encadrée que dans le droit pénal (où il faut que le ministère public ait établi une présomption par écrit pour justifier la fouille d’un portable), le rapport explicatif de l’avant-projet précise que la saisie du téléphone ne pourra pas se faire sans le consentement de la personne en demande d’asile. Sauf que celle-ci risque, en cas de refus, le rejet de sa demande d’asile, voire des mesures de contrainte (détention administrative)… Le piège dans lequel se retrouve un-e requérant-e est simple: soit la personne accepte, soit elle risque un renvoi. Il n’y a donc pas de consentement, juste de la contrainte.

Fouiller les portables requiert une technologie nouvelle et une formation adéquate des fonctionnaires, peut-être même l’engagement de personnel qualifié. Cela ouvre aussi un nouveau pan de discussion juridique: l’analyse des données est-elle correcte? Le ou la requérant-e d’asile a le droit d’être entendu-e à son tour. Etrangement, l’avant-projet ne chiffre pas ces coûts supplémentaires, n’évalue pas son impact sur la durée des procédures. Parce que quand on parle de durcir le droit d’asile, il n’y a en principe pas besoin de se justifier: la majorité bourgeoise, d’ordinaire attentive à la moindre dépense, signe le chèque les yeux fermés.

Finalement, et surtout, cette mesure renforce l’asymétrie de la relation entre la personne en demande d’asile et l’autorité, dont le message est: vous n’êtes rien d’autre que les objets d’une procédure administrative. Parce que vous avez demandé notre protection, vous n’aurez pas d’intimité dans nos centres, vous ne pourrez pas aller et venir librement, vous ne pourrez rien posséder, nous pourrons fouiller toutes vos affaires et toute votre vie privée, avec en prime l’humiliation de le faire sous vos yeux. C’est violent et déshumanisant.

L’avant-projet va maintenant devenir projet. Le parlement, dont on nous a vanté qu’il avait été porté plus à gauche par la vague verte, serait bien inspiré de l’abandonner. En ces temps troubles, il dispose pour ce faire d’une motivation que nous pouvons toutes et tous entendre: il a bien mieux à faire…

Chargé d’information sur l’asile au Centre social protestant.

Opinions Agora Aldo Brina Asile

Connexion