Édito

Raffineries ou blanchisseries?

Raffineries ou blanchisseries?
Décuplée, la valeur des exportations suisses d’or plaçait l’an dernier le secteur en seconde position derrière la pharma. Keystone
Matières premières

Les montres, les machines, le chocolat? Tout faux: le produit suisse en vogue depuis une dizaine d’années est un métal doré, dont on ne trouve pourtant pas trace dans nos montagnes. Décuplée, la valeur des exportations suisses d’or plaçait l’an dernier le secteur en seconde position derrière la pharma. De fait, les deux tiers de l’or mondial passe par la Suisse! Un business très rentable mais pas sans risques, a rappelé mercredi dernier Swissaid.

Dans un rapport, l’ONG pointe les raffineries des Emirats arabes unis (EAU), principaux fournisseurs de leurs homologues suisses. Cet Etat du Golfe, également dépourvu en mines d’or, abrite un marché, à Dubaï, où s’écoulent de précieuses pépites prélevées dans des conditions obscures en Afrique. «Porte d’entrée de l’or illégal», dixit Swissaid, la cité émirati verrait transiter la moitié de l’or africain, dont une bonne part exporté au noir, ce qui entraine d’importantes pertes pour les pays producteurs. Selon diverses enquêtes, le produit de mines contrôlées par des groupes armés du Soudan, du Congo RDC et du Burkina Faso y transiterait, franchissant la frontière des EAU avec de faux certificats, très mollement vérifiés. L’or illégal peut ensuite être mélangé, fondu et raffiné entre le souk de Dubaï et les nombreuses entreprises locales de raffinage. Les lingots sont alors expédiés vers la Suisse, sans conserver la moindre trace du périple originel.

Mais Dubaï n’est pas seule en cause: le même tour de passe-passe avait été révélé il y a quelques années par Public Eye au sujet de l’or togolais importé par des entreprises suisses, bien que le pays ouest-africain ne possède pas la moindre mine.

Blanchi dans le Golfe (ou au Togo), puis dans les Alpes, l’or pourra bientôt s’accumuler dans les coffres bancaires ou embellir le quotidien des amateurs de luxe, en toute bonne conscience. Et même – peut-être – s’exhiber sur nos fameuses montres, 100% helvétiques, bien entendu.

Documenté de longue date par des ONG, le laxisme de la Suisse dans la régulation du marché de l’or commence même à préoccuper certains organes publics. Ainsi le Contrôle fédéral des finances (CDF) s’est fendu d’un rapport, publié en juin, soulignant l’absence de stratégie des Douanes suisses. Selon l’enquête du CDF, les contrôles effectués sont surtout formels et se désintéressent de la provenance de la matière première. En outre, l’organe de surveillance de la Confédération note que les sanctions prises sont insignifiantes. Le rapport met en exergue une saisie à l’aéroport de Zurich d’une valeur de 500’000 CHF ayant conduit à une amende de 6000 CHF pour l’importateur indélicat…

Enfin, le Contrôle des finances critique ouvertement que l’actuel projet de révision de la loi sur le blanchiment «oublie» d’inclure une surveillance de l’or brut en voie de raffinage. On se demande bien pourquoi.

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