Genève

«Faire face était notre objectif commun»

En trois mois, l’Hôpital des Trois-Chêne a accueilli 260 patients atteints du Covid-19. Il a fallu repenser l’organisation et la structure des soins dans l’urgence pour ces malades âgés.
«Faire face était notre objectif commun»
Sandrine Boire Mamode est adjointe à la responsable des soins de l’Hôpital gériatrique des Trois-Chêne des HUG. ERIC ROSET
Série d'été "Paroles de pandémie"

En trois mois, l’Hôpital gériatrique des Trois-Chêne des HUG a accueilli 260 patients atteints du Covid-19, d’une moyenne d’âge de 85 ans. L’épidémie a impliqué de revoir, dans l’urgence, l’organisation et la structure des unités. Alors que le dernier malade a quitté les Trois-Chêne le 4 juin, Sandrine Boire Mamode, adjointe de la responsable des soins de l’établissement, revient avec avec Le Courrier sur cette période mouvementée.

«La première fois que j’ai entendu parler du virus, c’était dans les médias. Comme tout le monde, je suivais ce qui se passait en Chine. Jamais je n’aurais imaginé l’ampleur que cela prendrait.» Le jour où un premier patient est hospitalisé sur le site Cluse-Roseraie, il devient évident que l’Hôpital des Trois-Chêne devra, lui aussi, accueillir des personnes âgées atteintes du Covid.

paroles de pandémie (I)

Arrivée sans crier gare, la pandémie de Covid-19 a bouleversé nos vies, remué nos consciences. Avant que le souvenir de ce printemps comme aucun autre ne s’estompe, Le Courrier a recueilli des témoignages. Le premier nous mène auprès du personnel soignant et des
familles touchées par la maladie. CO

«Nous avons ouvert une unité le 13 mars, puis deux, puis cinq. En tout 132 lits. Il a fallu transformer radicalement notre prise en charge, se former sur les pathologies respiratoires et cardiaques, l’oxygénothérapie à haute dose.» Une cellule de crise est mise sur pieds, chargée de gérer les ressources humaines, la logistique, le matériel, la prévention, le nettoyage et, bien sûr, la protection du personnel.

Les patients atteints du Covid sont pris en charge selon des protocoles stricts. «Nous n’avons pas manqué de matériel, mais devions utiliser les masques FFP2 avec parcimonie et bien réfléchir à tout avant d’entrer dans une chambre pour éviter des allers et retours.»

Craintes parmi le personnel

Naturellement, des craintes s’expriment. Quitte à se faire porter pâle? «Très peu. Les personnes qui ont renoncé avaient des raisons avérées. Pas de démissions non plus. Mais il est vrai que le virus était inconnu, on entendait dire tellement de choses, il y avait beaucoup de stress. Certains collaborateurs se retrouvaient isolés, y compris au sein de leur famille.»

Comme cette employée dont le mari se tient éloigné d’elle, par peur. Nombre de salariés du site sont frontaliers. «Certains avaient des parents malades, hospitalisés en France, quelques uns sont décédés, sans qu’ils ne soient autorisés à leur rendre visite. C’était très dur. Des psychologues et des praticiens en hypnose étaient à notre disposition. Car ce qui a été vécu socialement pendant cette période laisse des traces, a des répercussions aujourd’hui encore.»

Et elle-même, comment a-t-elle vécu cette période avec sa famille? «Mon mari travaille dans la santé et quand nous rentrions le soir, on se décontaminait les mains, les mesures de base. On ne parlait pas trop de tout ça avec nos enfants de 15 et 11 ans. En revanche, mes parents font partie de la population vulnérable. Mon frère est allé vivre chez eux, tandis que moi je suis restée à distance, puisque j’étais en contact avec les patients les plus touchés. Je ne les ai pas vu pendant deux mois. C’était difficile, mais grâce à internet, nous avons pu garder le contact, y compris visuel.»

La population soignée aux Trois-Chêne est particulièrement vulnérable. «Des patients avaient peur, souffraient de l’isolement. Dès fois, ils présentent de la démence ou des troubles cognitifs, ils s’expriment différemment, ça peut être de l’agitation, une opposition aux soins», explique la responsable adjointe. Un tiers des malades du Covid sont décédés à l’hôpital. «Ils ne souhaitaient pas tous des soins maximalistes. Nous avons fait beaucoup d’accompagnement et de soins de confort, avec le soutien de l’équipe mobile de soins ­palliatifs.»

Solidarité des soignants

Les malades n’avaient pas le droit aux visites, excepté pour ceux en fin de vie. Et une seule personne. «C’était indispensable pour pouvoir ensuite faire son deuil.» Pour les autres, il y avait la tablette. Ou la créativité. A l’instar de cette famille venue se poster dans le champ, derrière, munie de grandes feuilles de papier collées bout à bout portant un message d’amour. «La personne qui l’a reçu a été bouleversée», se rappelle Sandrine Boire Mamode.

Ce qui a beaucoup ému et porté la responsable des HUG et ses collègues pendant cette période, c’est la solidarité. De la population à travers les messages d’encouragement, les applaudissements, les repas livrés par des restaurateurs et entreprises. Et celle des autres soignants des HUG. Comme les opérations non urgentes étaient repoussées et les consultations stoppées, des soignants de chirurgie, ophtalmologie, neurologie, des anciennes infirmières, des médecins qui ne pratiquaient plus, des gens du codage, un architecte, etc. se sont portés volontaires pour travailler dans les unités Covid, comme auxiliaires de soins, dans la logistique ou le nettoyage. Avec des capacités d’adaptation et d’intégration impressionnantes forçant le respect de Sandrine Boire Mamode. «Nous avions un objectif commun: faire face à cette crise. C’était une évidence, il n’y avait pas besoin de l’expliquer. La difficulté, c’était de ne pas savoir combien de temps il faudrait tenir.»

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Série d'été «Paroles de pandémie»

vendredi 17 juillet 2020
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