Contrechamp

Pour une ville durable et solidaire

Antonio Hodgers, conseiller d’Etat vert en charge du Département genevois du territoire, plaide pour la construction de logements en ville. Une question d’écologie mais aussi de solidarité avec les mal-logés.
Pour une ville durable et solidaire
Pour Antonio Hodgers, les nouveaux quartiers doivent veiller à la mixité sociale en comportant une part importante de logements bon marché et en coopérative, comme ici à l’Ecoquartier de la Jonction. JPDS
Genève

Les mouvements sociaux et ouvriers se sont historiquement battus pour le droit au logement, pour les coopératives d’habitation et l’avènement d’une ville faite d’espaces publics partagés et d’équipements de qualité. Les mouvements écologiques se sont engagés à leur tour pour construire la ville en ville, éviter l’étalement urbain et l’emprise du béton dans les zones naturelles et agricoles. Ces mouvements ont toujours prôné une société ouverte aux migrations, respectueuse des droits humains et basée sur la libre circulation.

Or, depuis quelques temps à Genève, des voix s’élèvent à gauche au nom «du social et de l’écologie» pour contester les nouveaux quartiers, s’ajoutant ainsi aux voix traditionnellement conservatrices qui ont toujours refusé la moindre évolution territoriale, comme elles ont également toujours refusé toute évolution sociétale. Une «alliance du refus» est formée par ces deux camps, pourtant antagonistes à la base, et constitue aujourd’hui une majorité de blocage sans que l’on parvienne à comprendre quel projet de société unit ces amis du jour. Pendant ce temps, l’aggravation de la pénurie de logement, l’étalement urbain en France voisine et l’inévitable augmentation des bouchons automobiles subséquente se poursuit.

Cette alliance contre-nature, qui s’est notamment manifestée contre les projets du Petit-Saconnex, de Cointrin et qui émerge contre le PAV, interpelle.

«L’habitat individuel provoque quatre fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que l’habitat collectif»

C’est pourquoi, il est aujourd’hui particulièrement important, à mon sens, de clarifier le rapport que la ville doit avoir en lien avec les deux grandes thématiques de notre temps chères à la gauche: la durabilité et la solidarité. Toutes deux vont par ailleurs avec celle de la qualité.

Durabilité. Un des grands défis du monde est – comme nous le rappelle la jeunesse dans la rue – la transition vers une société neutre en carbone. A Genève, 60% des émissions de CO2 sont liés à notre mode d’habitat et nos déplacements locaux. Selon une étude récente, l’habitat individuel (et son indissociable voiture individuelle) provoque quatre fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que l’habitat collectif. Il nécessite aussi de couler deux fois plus de béton et d’abattre cinq fois plus d’arbres. Or, Genève, faute de construire suffisamment de logements, a multiplié par quatre le nombre de frontaliers ces vingt dernières années et provoqué 650 000 passages quotidiens aux frontières cantonales. Ce phénomène de dispersion de l’habitat contribue grandement aux émissions de CO2, mais aussi à la pollution de l’air et au bruit excessif dans notre région.

S’il ne s’agit bien évidement pas de bannir la possibilité d’habiter de manière pavillonnaire, on ne peut néanmoins pas décemment déclarer, d’une part, l’urgence climatique et refuser, d’autre part, de transformer en nouveaux écoquartiers une petite partie de la zone villa et industrielle proche des transports publics. Cela serait comme refuser de transformer une voie réservée aux voitures en faveur des transports publics et des vélos. L’organisation actuelle de notre territoire – largement issue des années 1950 à 1970 – induit un impact carbone de dix tonnes par habitant-e. Pour arriver à moins d’une tonne par habitant-e selon l’objectif de neutralité carbone, nous devons profondément revoir notre urbanisation. Inaugurer un RER ou créer des bandes cyclables est très important, mais il convient de garder à l’esprit que ces effets positifs seront complètement annulés si, dans le même temps, nous continuons l’étalement urbain faute d’avoir construit suffisamment de logements sur le canton.

Solidarité. La construction de nouveaux quartiers forme également un enjeu de cohésion sociale fort dans une société où une part importante de la population est paupérisée. La souffrance de celles et ceux qui cherchent un logement pour des raisons familiales, migratoires ou professionnelles est une réalité qui a malheureusement trop souvent disparu des discours actuels des partis de gauche, de même qu’elle a été rendue invisible par la presse. Celles et ceux qui humanisent les arbres en leur donnant un prénom devraient aussi s’intéresser à donner un nom aux dizaines de milliers de personnes mal logées.

Les nouveaux quartiers veilleront à la mixité sociale tout en comportant une part importante de logements bon marché et en coopérative; or, ce sont d’abord ces derniers que bloquent aujourd’hui les oppositions. La ville doit rester un lieu d’intégration et de solidarité, les loyers abordables ne doivent donc pas être exclusivement réservés à ceux qui ont des baux anciens; il m’importe d’offrir également des perspectives aux nouvelles générations. Dans les années 1960 à 1980, nous avons su loger les migrants travailleurs venant d’Italie, Espagne ou du Portugal, en repoussant les initiatives «Schwarzenbach». L’accès au logement social sur le canton a permis à des dizaines de milliers de famille de s’intégrer. Cette dynamique positive est aujourd’hui remise en question.

Qualité. La ville est durable et solidaire, mais elle doit aussi être vivable et agréable. C’est certainement sur la question de la qualité que nous pouvons converger, même avec les plus sceptiques envers la création de nouveaux quartiers. La voiture doit fortement réduire son emprise, la nature la gagner. Les espaces publics doivent être pensés pour rafraîchir la ville et favoriser les échanges. L’architecture doit être variée et les typologies souples. Il faut également veiller à articuler les lieux de rencontre, y compris en soirée, avec les lieux de tranquillité et d’apaisement. Il convient d’aménager des espaces de culture, de sport et de flânerie.

Les nouveaux projets de quartier issus des années 2010 sont trop souvent injustement décriés de ce point de vue. Tous accordent pourtant une place importante au végétal et à la pleine terre, limitent drastiquement le nombre de places de stationnement en surface et offrent des logements neufs avec des loyers bien plus bas que les prix du marché. Ils sont bien évidemment perfectibles, mais à l’image de l’ensemble du Lignon, qui a reçu en 2013 le prestigieux prix du patrimoine culturel Europa Nostra, alors qu’au moment de sa construction dans les années 1960 ses opposants n’avaient pas de mots assez durs pour critiquer le bétonnage et les tours, force est de constater que la métamorphose urbaine commence la plupart du temps par un rejet…

«Les espaces publics doivent être pensés pour rafraîchir la ville et favoriser les échanges»

La qualité du bâti ne se décrète pas. Elle se construit collectivement: non pas en s’opposant à la concrétisation du droit au logement, non pas en dénigrant la ville, mais en faisant des propositions concrètes d’amélioration des nouveaux quartiers. Enfin – et c’est pour moi le plus important –, le projet d’une société écologique ne peut pas se baser sur l’exclusion des plus faibles, ici les personnes à faible revenu cherchant un logement. Il est temps que la gauche genevoise clarifie ses objectifs de développement territorial en lien avec la solidarité et la durabilité. Je suis bien entendu ouvert à mener ce dialogue.

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