Chroniques

Des statues et des hommes

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Depuis des temps immémoriaux, des statues sont érigées puis détruites, au gré des aléas de l’Histoire, matière vivante jamais figée, de sa relecture, des révolutions et autres changements de régime. Faut-il déboulonner les statues glorifiant les héros d’une époque révolue, acteurs symboliques d’une histoire peu glorieuse pour ne pas dire criminelle? Une fois déboulonnées, qu’en faire? Les détruire, les jeter à l’eau, les rayer de la carte? Ou au contraire les conserver au nom de la mémoire collective, pour l’édification des générations futures?

C’est le choix qu’a fait en son temps la Hongrie. Après la chute des régimes communistes en Europe à la fin des années 1980, le conseil municipal de Budapest prit rapidement la décision de conserver les statues monumentales en bronze de l’époque soviétique, érigées sur les places les plus emblématiques de la ville. Une quarantaine de statues de Lénine, Marx, Engels, y compris la paire de bottes en bronze d’une statue de Staline mise en pièces en 1956 déjà, peuvent être vues aujourd’hui au Memento Park, ouvert au public en 1993, à dix kilomètres du centre de Budapest. On y trouve également des monuments érigés à la gloire des travailleurs, typiques de l’ère soviétique; mais aussi un petit musée où sont exposés des documents relatifs à la Révolution hongroise de 1956, et une boutique de souvenirs où l’on peut acheter des affiches de l’époque et des musiques révolutionnaires, lui donnant un petit côté parc d’attractions à la Disney – comme n’importe quel site touristique dans le monde.

Pourrions-nous imaginer, sur le même modèle, un «parc du souvenir» composé de statues érigées à la gloire de personnalités actives dans le trafic d’esclaves, ou qui portent une lourde part de responsabilité dans les effroyables répressions émaillant l’histoire de la colonisation? Quelle attitude adopter, aujourd’hui, face à un passé ignominieux, dont les traces et les symboles sont omniprésents dans les pays occidentaux? A chaque nation, ville, région de répondre à ces questions cruciales. Alors que la République démocratique du Congo (RDC) célèbre ses 60 ans d’indépendance, le roi des Belges vient d’exprimer pour la première fois, dans une lettre adressée au président de la RDC Félix Tshisekedi , ses «plus profonds regrets» pour les «actes de violence» et les «souffrances» infligées au Congo sous le joug de la colonisation belge et de son roi Léopold II. Ce même Léopold II dont les statues ont été récemment vandalisées en plusieurs endroits en Belgique.

Il est piquant de constater que cette accélération de l’histoire mémorielle relative à l’esclavage et la colonisation a comme point de départ l’assassinat de l’Africain-Américain George Floyd par un policier à Minneapolis. Le mouvement Black Lives Matter contre les violences policières aux Etats-Unis a engendré une nouvelle page de la lutte contre le racisme dont sont victimes les personnes d’origine africaine partout dans le monde; et par extension contre les symboles de l’esclavage et de la colonisation. De nombreuses entreprises dans le monde ont ainsi été invitées à examiner leurs liens historiques avec l’esclavage. Sur le continent africain, les réactions demeurent cependant timides. Dans des pays où de nombreuses rues portent toujours le nom des figures marquantes qui les ont colonisées, auxquelles des statues ont même été érigées, des voix de la société civile se font désormais entendre pour demander des comptes.

 

* Journaliste

Opinions Chroniques Catherine Morand

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lundi 8 janvier 2018

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