Quelle aide pour quelle presse?
L’aide à la presse est en débat aux Chambres. Le Conseil des Etats a, à son tour, traité de cette question ce jeudi. Il faut dire qu’il y a urgence: la crise du Covid-19 met en danger un secteur déjà fortement affaibli par la révolution du numérique.
Les sénateurs ont augmenté les enveloppes à disposition pour l’aide indirecte aux journaux. Ceux-ci bénéficient des tarifs préférentiels pour leur distribution par La Poste grâce à une aide publique. En l’occurrence, cette enveloppe va augmenter de façon assez importante. Il faudra néanmoins voir à l’usage si ce soutien va réellement aux journaux ou si La Poste, qui a augmenté ses tarifs et s’apprête à le faire de nouveau, empochera ce pactole.
Comme souvent, en Suisse, certains choix n’ont pas été tranchés. L’objectif de l’aide indirecte à la presse est de garantir la diversité des opinions à même de nourrir le débat démocratique. Cela aurait plaidé pour un soutien pour les petits titres indépendants des grands groupes de presse. Mais la volonté de la Chambre haute est autre. Elle a choisi d’aider aussi les grands titres, notamment en déplafonnant cette aide qui était auparavant limitée aux journaux tirant moins de 40 000 exemplaires. Désormais les gros titres y auront droit aussi. Ceci alors qu’ils appartiennent à des groupes réalisant des bénéfices évalués à 350 millions de francs, pour les trois leaders de ce marché. Et qui paient des dividendes coquets à leurs actionnaires.
Grâce à l’action de députés sensibles à la cause des médias et des petits éditeurs, il a au moins pu être prévu d’instaurer une dégressivité pour l’aide au portage de ces médias. L’aide sera moindre pour les gros tirages.
L’aide indirecte ira également à la distribution dite matinale. La Poste délivre les titres de plus en plus tard – les abonnés du Courrier s’en plaignent souvent. Cette tendance ne devrait pas s’inverser, pour employer un euphémisme. Si la loi est adoptée, les sociétés privées de portage pourront aussi bénéficier de cette manne. Le paradoxe n’est pas mince. La Poste, qui se cannibalise – elle est ainsi actionnaire d’Epsilon qui œuvre à Genève et à Lausanne –, joue un jeu trouble.
Les lecteurs et ceux qui fabriquent Le Courrier ont le droit de demander des comptes et de continuer à lutter pour un mécanisme à même de favoriser la diversité des titres et des opinions. A triple titre: comme contribuable, comme citoyens soucieux du débat démocratique et comme journal qui lutte avec des armes très inégales pour faire entendre une voix discordante dans le concert médiatique.