Chroniques

Ultime chant de sirène nostalgique

L'Impoligraphe

Allez on va touiller encore, pour le plaisir et les effluves d’un combat gagné, une vieille polémique.
Lors de son ultime séance, le Conseil municipal de la Ville (le sortant) a refusé de soutenir une vieille motion appelant à sauver la salle de cinéma Le Plaza, vu que la salle a été sauvée et qu’on n’avait donc plus besoin de soutenir une pétition pour la sauver. Comme résistants de la dernière heure (voire de la première heure après la victoire, y’en a qui se posent un peu là…) On regrette quand même de ne pas avoir pu dire pourquoi on avait particulièrement savouré la forte sentence de la rapporteuse de minorité: «L’Entente élargie vous invite donc à refuser la motion M-1177 et à ne pas écouter le chant des sirènes de quelques nostalgiques enfermés dans une trop forte sentimentalité envers cette salle de cinéma.»

On se voyait pas en sirène chantante, mais les «quelques nostalgiques» c’étaient nous, les militantes et militants du comité de défense du Plaza et du comité d’initiative «Le Plaza ne doit pas mourir», et c’étaient aussi les 17’000 signataires de la pétition et les 11’000 signataires de l’initiative. Ça a quand même fait beaucoup de «quelques nostalgiques»…

Il faut bien le rappeler: le Plaza a été sauvé. Il l’a été parce que pendant cinq ans, nous avons réussi à en empêcher la démolition. Il l’a été parce que des milliers de Genevoises et de Genevois se sont mobilisés pour le sauver. Il l’a été parce que nous avons multiplié les démarches, les appels, les recours, les motions, les pétitions, jusqu’à une initiative populaire qui a recueilli plus de 11 000 signatures, et que le Conseil d’Etat a invalidée parce qu’elle le gênait. D’abord, parce qu’elle mettait en évidence sa pusillanimité face à l’ancien propriétaire, ensuite parce qu’elle remettait en cause sa prétention à être seul à pouvoir proposer une loi déclarant d’utilité publique le maintien d’un élément du patrimoine architectural et qu’il lui était insupportable que des citoyennes et des citoyens prétendent user de ce droit dont il voulait qu’il soit sa chose, exclusive.

Le Plaza a été sauvé. La fondation privée qui l’a racheté n’a pu le sauver que parce que nous en avons empêché la démolition. Sans la mobilisation des milliers de «quelques nostalgiques», la fondation n’aurait rien eu à racheter qu’un tas de gravats, ou un centre commercial superfétatoire et un parking inutile. Le Plaza a été sauvé malgré la droite municipale. Il a été sauvé malgré le Conseil d’Etat. Il a été sauvé par une mobilisation populaire.

Et en sauvant le Plaza, cette mobilisation populaire a aussi sauvé le dispositif genevois de protection du patrimoine, dispositif dont un récent rapport de la Cour des Comptes a dit la nécessité du respect par les autorités politiques. La salle avait été classée par le Conseil d’Etat, dans une ancienne composition. Elle a été déclassée par le Conseil d’Etat suivant, pour la seule raison qu’avait avancée le propriétaire: son exploitation n’était plus rentable. Autrement dit: la protection d’un patrimoine architectural ne se justifie que si ce patrimoine peut être exploité et que cette exploitation est rentable.

On vous laisse juger de ce qui resterait de toute politique de protection du patrimoine si on devait la soumettre à un critère aussi trivial, aussi médiocre, aussi inculte – celui de la droite dans tout le débat au Conseil municipal et au Grand Conseil: un élément patrimonial doit être rentable pour être défendu. Mais sont-il rentables, le Grand Théâtre, le Temple de Saint-Pierre, l’Hôtel de Ville? Est-elle rentable, la Maison Tavel?

Le Conseil d’Etat qui avait déclassé le Plaza l’a reclassé. Mais ce rachat et ce reclassement n’ont été rendus possibles que par des années d’un combat acharné contre le mercantilisme d’un propriétaire, l’inculture d’un milieu politique et l’inconséquence d’un gouvernement qui n’avait, dans ce dossier comme dans d’autres, «plus voulu se battre contre les intérêts économiques», pour reprendre le constat fait par [la spécialiste du patrimoine] Leila Al Wakil…

En empêchant la destruction du Plaza, en permettant à une fondation privée de le racheter pour y réaliser une grande Maison du Cinéma, les défenseurs de la salle on fait ce que le Conseil d’Etat aurait dû faire, ils l’ont fait à sa place – et l’ont fait avec le soutien de la gauche, mais aussi celui de femmes et d’hommes de droite, contre leurs propres partis, ou malgré leurs propres partis, ou à la place de leurs propres élus au Conseil municipal, au Grand Conseil ou au Conseil d’Etat. En approuvant les conclusions de la commission, c’est aussi à ces dissidentes et ces dissidents de droite, et à leur dissidence, que le Conseil municipal aurait pu rendre hommage. Il ne l’a pas fait, il a eu tort, je le fais ici à sa place. Mais sans les dénoncer (qu’elles et ils le fassent eux-mêmes…): être reconnaissant n’oblige pas à être cafteur.

Notre chroniqueur est conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

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lundi 8 janvier 2018

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