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Déconfinés pour mieux assister

En plein contexte pandémique, des personnes «qui ne demandent qu’à respirer». Participant à des actions bénévoles à Renens, Patrick Aimé témoigne de son expérience dans l’accueil des personnes sans-abri ou isolées à la recherche d’un repas et de réconfort.  
Vaud

Elles et ils s’appellent Maniana, Mohammed, Amir, Sylvio, Jason. Des immigrés? Mais non, la Suisse descend de Guillaume Tell, m’a dit l’UDC. Ce sont surtout des bénévoles, comme moi, et des civilistes, qui ont offert un repas et de l’attention aux bénéficiaires de l’accueil de jour des sans-abri à Renens, en pleine pandémie de coronavirus. Ainsi, depuis quelques semaines et au minimum jusqu’à la fin mai, une vingtaine de personnes pauvres viennent et viendront.

Ces personnes dorment dans des abris PC à Lausanne sinon chez elles, où elles se sentent bien seules. Auprès de nous, elles bénéficient d’un voire deux repas offerts (certaines les prennent avec elles pour le soir). C’est grâce à la fondation Mère Sofia, qui cuisine. Mais hier, Maniana a fait mieux: un gâteau aux pommes qui a fait office de délicieux dessert. Les bénéficiaires reçoivent de l’attention. De l’écoute. Du soulagement. Ces moments de partage leur sont aussi vitaux que l’alimentation. Manger, ça fait aussi causer.

Alors j’entends déjà hurler: «Quoi?! Ils sont sortis sans respecter l’interdiction des regroupements de plus cinq personnes?» Effectivement, le confinement décrété par le Conseil fédéral est une mesure d’exception à prendre très au sérieux. Mais l’amplification de la solitude de personnes déjà esseulées et qui ont des problèmes psychologiques ou financiers nous a semblé tout autant, si ce n’est davantage, devoir être prise au sérieux. A mesure exceptionnelle, contre-mesure exceptionnelle. Ainsi en a décidé la Municipalité de Renens, dont le Service de l’enfance et de la cohésion sociale a œuvré en coopération avec la protection civile.

Depuis déjà deux semaines, rendez-vous est pris quotidiennement à l’église St-François, au cœur de la commune d’Henri Dès. Il y a Robert*, qui joue les rigolos, et parfois un peu les durs, puis pleure dans les bras de Maniana qui l’aide à s’apaiser. Il y a François-Xavier*, qui nous parle de ses problèmes d’impôts et de ses démêlés avec le Département de justice et police. Il y a aussi Thérèse*, qui a 95 ans mais en paraît dix de moins, qui sort prendre l’air en nous rendant visite. Marcher lui fait du bien.

Pendant que je participe au repas, je tiens compagnie à Fabrice*, qui se confie très vite. Etonnamment, je ne suis pas mal à l’aise, comme cela peut m’arriver parfois. Il dit avoir perdu tout contact avec sa famille, se sentir seul. Il est au chômage mais ne touche plus d’indemnités. Il vient d’Espagne, a fait le chemin de St-Jacques de Compostelle l’année dernière et veut devenir travailleur social. Je ne sais s’il mène ou non une vie stable. Qu’importe, il faut être présent pour aider les gens. Ce que je parviens à faire: c’est mon exploit du jour! Fabrice a ressenti des symptômes du coronavirus. Il n’a pas fait de test mais croit l’avoir contracté. Aurais-je dû fuir devant son annonce? On a des masques, des gants, des règles: chacun doit se tenir à deux mètres l’autre, même à table. Sinon, la protection civile devra faire la discipline. Fabrice ne m’a certainement rien transmis.

Je me lave les mains en arrivant et j’enfile mes gants. C’est obligatoire et, surtout, ça répond à mon besoin psychologique, avant de servir les bénéficiaires. Et c’est mon devoir pour ne pas prendre le risque de transmettre le virus à autrui par inadvertance, non? Finalement, jamais être citoyen n’a été aussi facile. Mes grands-pères ont fait la Seconde Guerre mondiale, fusil à la main, pour lutter contre la barbarie nazie. Après les attentats de Paris, il me suffisait de sortir en terrasse, boire une bière avant de faire l’amour au nom du mode de vie occidental pour lutter contre ces fous qui tuent au nom de l’islam. Cette fois, je fais ma «guerre» contre l’ennemi invisible, savon à la main. Ça doit être une forme de progrès.

* Les prénoms ont été modifiés.

Opinions Agora Patrick Aimé Vaud

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