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De la valeur des métiers

Lucas Luisoni, du Réseau objection de croissance, demande une revalorisation durable des métiers sur la base de leur apport réel à la société dans son ensemble.
Travail

Chaque soir nos balcons célèbrent en musique, en chants et applaudissements tou-te-s ces professionnel-le-s investi-e-s pour que notre société confinée, presque paralysée, sache encore répondre aux besoins essentiels et continue de fonctionner au service de tou-te-s et en particulier des malades, des personnes à risques et des populations les plus fragiles.

Cela m’invite à partager un article de Pierre Rimbert1>«De la valeur ignorée des métiers», Pierre Rimbert, Le Monde diplomatique, mars 2010., faisant référence à trois chercheuses2>E. Lawlor, H. Kersley et S. Steed, «A bit rich. Calculating the real value to society of different professions», New Economic Foundation, Londres 2009, www.neweconomics.org de la New Economic Foundation qui ont abordé la question des inégalités en comparant la rémunération de certains métiers à la valeur sociale qu’ils engendrent. Au lieu de poser la question «combien vous rapporte votre travail?», on demande «que rapporte votre activité à la société?»

La pensée économique «orthodoxe» présuppose que notre utilité dérive de l’argent et que par conséquent, plus on gagne plus on est utile. La recherche précitée prend l’économie à contrepied avec ses propres outils en quantifiant un «retour social sur investissement». Pour déterminer la contribution sociale nette d’un métier, elle tient compte des externalités tant positives que négatives qu’il induit, ses impacts directs ou indirects sur l’économie, la société, l’environnement, la santé, etc.

Il en ressort qu’une personne chargée du nettoyage dans un hôpital produit pour chaque franc de salaire reçu, une valeur sociale de plus de 10 francs3>Pour faciliter la lecture, les valeurs, en livres sterling dans l’étude, sont données en francs.. Des valeurs positives comparables se retrouvent pour le personnel de santé «héros d’aujourd’hui». Pour les personnes qui s’occupent de nos poubelles, l’étude mentionne 12 francs de valeur sociale produite par franc de salaire payé.

A l’inverse, des activités parmi les mieux rémunérées détruisent de la valeur sociale. Les grands banquiers d’affaires consomment 7 francs de valeur sociale pour chaque franc de valeur financière créée. Un cadre dans le business de la publicité qui vise à accroitre la consommation va certes créer des emplois et satisfaire certains besoins, mais aussi provoquer une surconsommation, de l’endettement, de la pollution, etc. Au bilan (issu d’un calcul ingénieux et compliqué), chaque franc de valeur positive va générer 11,5 francs de valeur négative. Le record de ces destructeurs de valeur sociale étant, semble-t-il, détenu par l’avocat fiscaliste dont l’objectif est de priver, autant que faire se peut, la collectivité des ressources de l’impôt. Il détruirait ainsi 47 fois plus de valeur qu’il n’en crée.

Crise planétaire sans précédent pour l’humanité, le Covid-19 éclaire de façon fulgurante la valeur des métiers qui nous sont essentiels et que nous applaudissons chaque soir à 21 h. Puisse-t-elle éclairer nos politicien-ne-s et notre société afin que l’on sache leur donner une plus juste rémunération et reconnaître durablement (pas exceptionnellement et au vu des circonstances) celles et ceux qui par leur activité servent et améliorent vraiment la société. Paysannes, éducateurs, enseignantes, travailleurs sociaux, infirmières, médecins, épicières, nettoyeurs, animatrices culturelles…

Puisse-t-on aussi mieux reconnaître le travail domestique, encore très majoritairement dévolu aux femmes et auquel la vision classique de l’économie n’attribue aucune valeur! La crise du Covid-19 relance l’idée d’un Revenu de base universel (RBI). C’est bienvenu!

Notes[+]

Notre invité est membre du Réseau objection de croissance (ROC)-Genève.

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