Chroniques

L’autre épidémie qui menace l’est de l’Afrique

À votre santé!

Apparemment moins touché que le reste du monde pour une raison qu’il faudra encore élucider – une population plus jeune et moins de contacts mondialisés? –, le continent africain fait néanmoins face, lui aussi, à la propagation du Covid-19. La plupart des pays rapportent des cas, encore souvent importés à ce jour. Le directeur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), d’origine éthiopienne, a d’ailleurs appelé l’Afrique à «se réveiller» et à «se préparer au pire» face à la pandémie de coronavirus.

Tedros Adhanom Ghebreyesus dit aussi craindre que l’Afrique ne puisse «affronter» la pandémie, au regard de ce qui s’est passé en Europe ou aux Etats-Unis, où les services de soins intensifs ont dû se multiplier. Une montée en puissance impensable sur le continent africain, étant donné le rachitisme de ses structures sanitaires. Il faut savoir que dans la plupart des pays africains dits «à faible revenu», le budget annuel affecté au paiement de la dette – multilatérale, via le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM), ou bilatérale – est supérieur aux dépenses publiques dans le secteur de la santé. La plupart de ces pays ont néanmoins préconisé un confinement. Comme chez nous donc, la vie économique s’est paralysée et les espaces aériens se sont fermés. Sauf qu’une très grande majorité de la population vit du secteur informel. Ne recevant aucune aide et ne disposant d’aucune réserve, elle doit gagner sa vie au jour le jour. Une fois de plus, le FMI et la BM «volent au secours» de ces pays en acceptant de repousser le paiement de la dette existante et en prêtant de l’argent pour parer à la nécessité de liquidité et pour faire de la prévention primaire, mais en créant encore plus de dépendance sur les moyen et long termes. C’est dire que là-bas, comme ici, le Covid-19 a monopolisé l’attention mais aussi les allocations budgétaires.

Pourtant, il y a une autre épidémie qui menace l’est de l’Afrique (et la péninsule arabique): l’invasion du criquet pèlerin, évoquée dans l’Ancien Testament comme la huitième plaie d’Egypte. C’est le ravageur migrateur le plus destructeur au monde, qui consomme chaque jour une quantité de nourriture très importante, équivalant à son propre poids, en ciblant les cultures vivrières et le fourrage. Ils évoluent en essaims, souvent de plusieurs kilomètres carrés, pouvant parcourir jusqu’à 150 km pendant la journée, se posant et se nourrissant la nuit, dévastant tout. Or pour des raisons climatiques inhabituelles (tiens, tiens…!), les criquets ont commencé à se multiplier dès l’automne 2019. La première vague importante s’est fait sentir au début de l’année 2020, notamment en Ethiopie, au Kenya et en Ouganda. En termes de ravages causés par les criquets pèlerins, on évoque déjà 2020 comme la pire année depuis vingt-cinq ans, et même septante-cinq ans pour certains pays comme le Kenya. On en a même trouvé dans le nord-est de la République démocratique du Congo, ce qui est plutôt inhabituel.

Les criquets pèlerins vivent environ trois mois. Arrivées à maturité, les femelles pondent leurs œufs et peuvent donner naissance à une nouvelle génération jusqu’à vingt fois plus nombreuse que la précédente si toutes les conditions sont réunies, c’est dire qu’un risque majeur se profile pour les toutes prochaines semaines, juste au moment de la reprise du cycle agricole. L’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture de l’ONU (FAO) le sait bien et lançait un appel aux dons en janvier à la communauté internationale à hauteur de 76 millions de dollars (à comparer aux milliards du Covid-19) dans le but de financer des opérations de lutte contre les insectes et de protéger les agriculteurs et éleveurs issus de pays touchés par l’infestation. Devant le manque d’écho reçu, elle a renouvelé son appel en expliquant que, vu le retard pris dans la contention de cette épidémie (qui se fait essentiellement par épandage d’insecticide là où le criquet pond ses œufs ou lorsqu’il se pose la nuit), c’était plutôt 150 millions dont on avait besoin! De plus, avec la fermeture des espaces aériens et le confinement, les équipes chargées du travail ne peuvent pas se déplacer aussi bien et aussi vite qu’il le faudrait.

Selon la FAO, «la situation pose une menace sans précédent sur la sécurité alimentaire et sur les moyens d’existence des populations. Dans les six pays les plus affectés par le risque de criquets – l’Ethiopie, le Kenya, la Somalie, le Soudan du Sud, l’Ouganda et la Tanzanie – près de 20 millions de personnes font déjà face à une situation d’insécurité alimentaire aigüe»; la présence du criquet pèlerin ne fait qu’aggraver ce constat alarmant!

Sans compter que l’OMS «redoute des perturbations dans les campagnes contre la malaria et dans l’accès aux médicaments contre cette maladie en raison de la pandémie du Covid-19». Le nombre de décès dûs à la malaria pourrait doubler et avoisiner les 770’000, concernant essentiellement des enfants de moins de 5 ans… Il faut dire qu’il y a une rupture de stock de moustiquaires imprégnées au niveau mondial. Cela vous évoque quelque chose?

Il faut vraiment apprendre à habiter le monde autrement (je sais, je l’ai déjà dit dans ma dernière chronique).

Notre chroniqueur est pédiatre FMH et membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.

Opinions Chroniques Bernard Borel

Chronique liée

À votre santé!

lundi 8 janvier 2018

Connexion