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La question du pourquoi

La crise sanitaire actuelle donne l’opportunité «d’entrevoir, de manière très concrète, un autre usage du monde», avance Luca V. Bagiella, coordinateur du réseau consciences-citoyennes.ch.
Société

La crise sanitaire majeure que nous sommes en train de vivre n’a rien d’un accident, d’une fatalité contingente; bien plutôt, elle se comprend comme le fruit de l’ouragan civilisationnel propre à la société de consommation et à l’exploitation généralisée qui en découle.

De l’instance étatique à l’instance individuelle, aujourd’hui, nous sommes tous dépendants de cette idéologie économique qui fonctionne sur la logique duale production-consommation. Ainsi, pour se maintenir en tant qu’idéologie dominante (et faire perdurer le pouvoir du capital et de ceux qui le possèdent), cette logique nécessite un certain rythme qui requiert lui-même une exploitation intense de la nature et de l’humanité. Cette logique et la hiérarchie des valeurs qu’elle implique ont été dénoncées plus d’une fois à travers des appels, des manifestations, des révoltes, mais également, sur un plan plus objectif, des désastres écologiques et sanitaires. On a à l’esprit, par exemple, le mouvement des gilets jaunes, les grands feux d’Australie ou la multiplication des cas de cancer (plus de 8 à 9 millions par année de par le monde).

Face à ces dangers avérés et futurs qui affectent l’humanité tout entière et qui ne cesseront pas, soyons-en sûr, avec la résolution de la crise que nous vivons actuellement, l’expérience collective imposée par le Covid-19 nous donne des pistes de résolution. Parmi celles-ci, il y a le ralentissement radical de certains processus de production. Par ce ralentissement, cette crise nous invite à établir une distinction entre ce que sont les besoins de base et les besoins superflus. En effet, une partie de la population, aujourd’hui, vit avec ce qui lui est nécessaire et parvient ainsi à imaginer l’organisation sociale si chaque citoyen utilisait ce temps, qu’il n’a pas à travailler pour du superflu, pour quelque chose de véritablement utile à la collectivité.

Ce que je veux mettre en exergue par-là, c’est que la crise systémique que nous traversons constitue cet impact que beaucoup d’entre nous attendent depuis longtemps. Mais surtout, cet impact nous permet d’entrevoir, de manière très concrète, un autre usage du monde, un autre modèle de société. Un modèle qui est plus proche de la nature, parce qu’il concentre son organisation autour de ce qui lui est essentiel.

Derechef, cette pandémie est le résultat d’un désordre profond et d’une toxicité que certains expérimentent et que d’autres craignent. Cette toxicité représentée, aujourd’hui, par le Covid-19 est celle que nous faisons subir sous d’autres formes, certes, mais depuis bien longtemps au règne animal et, de manière plus générale, à la nature. Or, toute la problématique est là: tant qu’on pensera que ce virus nous provient des animaux et que la crise est exceptionnelle et qu’elle va passer, nous ne sortirons pas du tunnel dans lequel nous sommes! Combien de révoltes, d’actes terroristes, de désastres, de maladies doit encore endurer l’humanité pour comprendre qu’elle se trompe de voie?

Je pose humblement, ici, la question mais il faut bien reconnaître que si la responsabilité écologique, l’éthique et le bon sens ne parviennent pas à guider l’humanité vers les réponses aux pourquoi, alors ce sont les facteurs biologiques, à la base des organismes vivants, qui s’en chargeront.

Notre invité est doctorant en sciences sociales et en philosophie à l’université de Lausanne, cofondateur et coordinateur du réseau consciences-citoyennes.ch

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