Stratégie du choc
Ce serait trop bête de perdre du temps. Coup sur coup, le Conseil fédéral a lancé vendredi deux consultations dont on peine à voir l’urgence en ces temps de confinement. Il a, d’une part, initié une réforme de l’impôt anticipé visant à supprimer le droit de timbre de négociation sur les obligations suisses et, d’autre part, proposé d’ouvrir totalement le marché de l’électricité.
Le premier objet, qui vise à rendre le marché obligataire plus attractif, implique une perte unique de 750 millions de francs, puis un manque à gagner récurrent de 165 millions de francs par an, ceci dans le but de rendre encore plus attirante la place financière suisse. Or les pertes fiscales liées au Covid-19 vont déjà péjorer les comptes des collectivités publiques suisses.
Le second objet mis dans le pipeline politique concerne le marché de l’électricité: il vise à le libéraliser également pour les petits ménages et les PME. Actuellement, cette latitude est réservée uniquement aux gros consommateurs. Cette volonté est d’autant plus incompréhensible que l’épidémie qui paralyse la planète a mis en évidence les limites – et c’est un euphémisme – de la mondialisation néolibérale. Le monde se retrouve bien dépourvu – des biens de première nécessité font défaut – pour cause de délocalisation en Chine, en Inde, ou de concentration de l’outil de production dans un pays unique, susceptible, d’un coup, de se réserver certains produits stratégiques.
Mettre à l’encan de la sorte un fluide aussi vital que l’électricité va à rebours du bon sens et de l’actualité. D’autant plus que les libéralisations de ce marché chez nos voisins – France et Allemagne en tête – ont eu des effets désastreux: le prix du courant pour les ménages a pris l’ascenseur.
On peine, là aussi, à distinguer le caractère urgent de cette réforme. Le processus – impulsé par la machine de guerre néolibérale et si fidèlement relayé par l’Union européenne – est en cours depuis… 2002.
Le moment serait plutôt opportun pour remettre le bien commun et l’accès à des biens stratégiques au cœur du débat politique, au lieu de cette fuite en avant vers un libéralisme qui montre ses limites chaque jour. On reste sur la très désagréable impression d’un passage en force de la Confédération.
Une mise en pratique de la théorie du choc émise par l’essayiste canadienne Naomi Klein: ou quand des gouvernements profitent de moments de crise pour faire avancer les agendas antisociaux et antidémocratiques exigés par les intérêts bien compris des 1% les plus riches de notre planète.