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Forteresse épaisseur triple

«Le renforcement des dispositifs sécuritaires aux frontières de l’Europe pose la question de l’accès à une protection pour les personnes qui ont droit à l’asile», estiment les Centres sociaux protestants. C’est dans ce sens qu’ils ont répondu à la consultation fédérale sur le soutien de la Suisse à l’agence européenne Frontex.
Migrations

Le 13 décembre 2019, le Conseil fédéral a ouvert une consultation sur la participation de la Suisse au corps élargi de garde-frontières et de garde-côtes au sein de l’agence européenne Frontex. Il s’agit d’un développement de l’acquis Schengen auquel la Suisse est liée. L’objectif affiché de Frontex est de «protéger» les frontières extérieures de l’espace Schengen. Avec ce nouveau projet, son rôle augmentera considérablement afin d’«améliorer la gestion de la migration», de «maîtriser la pression migratoire et les futures menaces à ces frontières», d’«améliorer l’efficacité du retour des personnes tenues de quitter le territoire».

Pour accomplir ces nouvelles prérogatives, le règlement européen qu’il est question d’avaliser prévoit la constitution d’un corps de garde-frontières et de garde-côtes composé de 10’000 agents opérationnels à l’horizon 2027. En échange, les Etats Schengen, dont la Suisse fait partie, s’engagent à financer Frontex et à contribuer à ses effectifs par un détachement de personnel. La contribution financière est fixée au prorata du PIB. A ce stade, alors que la Suisse a versé 6 millions de francs à Frontex en 2015, le Conseil fédéral envisage une contribution allant de 25 millions en 2020 à 83 millions en 2027, soit une augmentation de 332% en sept ans. En plus de ces dépenses, la contribution en personnel se montera à 58 personnes dès 2021 et vise 75 personnes en 2027.

Ce personnel européen aura un pouvoir d’exécution qui, selon le rapport explicatif du Conseil fédéral, constitue «une nouveauté qui ne figure nulle part ailleurs dans la législation européenne». Autrement dit, cette unité opérationnelle européenne qui n’existe ni dans le domaine sanitaire, ni dans le champ social, ni même dans la coopération économique, verra le jour en premier lieu pour repousser les personnes en demande d’asile.

Dans leur prise de position, les Centres sociaux protestants (CSP) rappellent qu’en l’absence de voies légales pour entrer dans l’espace Schengen, puis sur le territoire suisse, la majorité des requérant-e-s d’asile contournent les contrôles douaniers. L’art. 31 de la Convention relative au statut des réfugié-e-s précise qu’aucune sanction pénale ne peut leur être appliquée pour ce motif, pour autant qu’ils et elles se présentent sans délai aux autorités du pays d’arrivée pour demander protection. De fait, l’irrégularité de l’entrée est un passage presque obligé pour accéder à l’asile. Le renforcement des dispositifs sécuritaires aux frontières de l’Europe pose donc la question de l’accès à une protection pour les personnes qui ont droit à l’asile.

L’art. 35 al. 2 de la Constitution fédérale consacre l’obligation de l’Etat de s’organiser de sorte à œuvrer à la réalisation des droits fondamentaux. Le principe de non-refoulement, de même que la dignité humaine, entre autres, font partie des droits fondamentaux. Même en déléguant la gestion de ses frontières à un tiers (l’agence Frontex), la Suisse reste tenue par ces obligations constitutionnelles.

Comme nous le découvrons quotidiennement en lisant les nouvelles venant de Bosnie, de Grèce ou de Méditerranée centrale, la gestion des frontières de l’espace Schengen engendre des violations des droits fondamentaux. Dans ce contexte, des garanties très solides du respect des droits fondamentaux devraient être apportées pour que la Suisse puisse adhérer au règlement européen en question. Or, le mécanisme prévu relève de la mesure alibi. Un officier aux droits fondamentaux, censé veiller sur le respect des droits… est désigné par le conseil d’administration de Frontex. Il aura à son service quarante contrôleurs des droits fondamentaux… qui seront formés par Frontex et feront partie intégrante du personnel de l’agence. L’indépendance nécessaire pour assurer le respect des droits fondamentaux n’est donc pas du tout garantie. Pire, elle est simulée.

Sur le fond, les CSP sont d’avis que la Suisse ne peut pas adhérer à ce projet sans formuler d’importantes réserves, de sorte à respecter sa propre Constitution et sa tradition humanitaire. Sur la forme, les citoyen-ne-s suisses sont éloigné-e-s des activités de Frontex, qui agit principalement sous commandement européen, dans une opacité favorisée par la bureaucratie européenne.
Pourtant, comme en témoignent les pétitions pour l’accès à des voies sûres et légales pour les réfugié-e-s (signée par 38’000 personnes) ou la mobilisation pour le sauvetage en mer (25’000 signatures pour que l’Aquarius batte pavillon suisse), les citoyen-ne-s suisses sont très attaché-e-s aux questions relatives aux frontières extérieures de Schengen et à l’accès des réfugié-e-s au continent européen.

Notre invité est chargé d’information sur l’asile au CSP-Genève.

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