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La politique migratoire plus importante que la santé publique?

«Rester chez soi, sauver des vies» est le mot d’ordre de la Confédération pour lutter contre le coronavirus. «Mais le Secrétariat d’Etat aux migrations, lui, a ses propres priorités…» Les organisations de défense des droits des migrants montent au créneau pour exiger la suspension de toutes les procédures d’asile. Etat des lieux par Vivre Ensemble et Solidarité sans Frontières.
Asile

Depuis que l’état de nécessité a été décrété par le Conseil fédéral, les appels, lettres et prises de position affluent pour demander aux instances d’asile de suspendre toutes les décisions. Mais rien n’y fait. Samedi 21 mars, Mario Gattiker, secrétaire d’Etat aux migrations (SEM), a annoncé la suspension pour une semaine des auditions d’asile. Si les titres des journaux ont laissé croire à un arrêt total de celles-ci, le chef du SEM n’a laissé planer aucun doute sur sa volonté de les convoquer à nouveau dès que des «vitres de protection en plexiglas» auraient été posées. Des «mesurettes» qui n’empêcheront pas la contamination des différentes personnes convoquées à une audition – soit au minimum cinq – et les risques de propagation à l’ensemble de la population dus aux déplacements jusqu’à Berne ou dans les centres fédéraux.

La justice ralentit, sauf pour le droit d’asile. Outre les auditions, il y a les procédures qui se poursuivent. Ainsi, lorsqu’une décision négative ou de levée d’admission provisoire tombe, les personnes requérantes ont un délai d’une semaine, dix jours, trente jours, pour faire recours ou prendre position. Délais qui ont été gelés par le Conseil fédéral jusqu’à Pâques dans les domaines civils et administratifs. Sauf pour le droit d’asile (art. 17 al. 1 LAsi), droit d’exception par excellence.

Or, faire recours consiste pour le requérant à rencontrer un juriste, souvent avec un traducteur. Alors que les lieux de consultation sont pour la plupart fermés et que tout le monde est enjoint au télétravail. Cela implique aussi de faire établir un certificat médical comme moyen de preuve des traumatismes subis. Pourtant, les médecins sont entièrement mobilisés pour lutter contre la pandémie et n’ont pas le temps de rédiger des certificats pour le SEM.

Des décisions, peut-être, mais de mauvaise qualité. Ces procédures, M. Gattiker se refuse également à les suspendre, malgré les demandes et appels qu’il a reçus de nombreuses organisations. Son argument: pour «préserver la santé des réfugiés», il faut pouvoir transférer les requérants d’asile dans les cantons ou dans d’autres centres fédéraux afin de ne pas engorger les centres dans lesquels les procédures sont menées et se préparer au post-coronavirus, à savoir pouvoir expulser tout le monde aussi vite que possible. Concrètement, le SEM entend donc poursuivre les procédures et rendre des décisions comme si la pandémie n’existait pas.

Des décisions négatives seront rendues, sans que les faits médicaux aient été bien établis, souvent en l’absence du requérant d’asile et/ou de son représentant légal, ou alors sans défense juridique. Ces décisions seront de mauvaise qualité, voire irrégulières, avec des voies de recours rendues difficiles, si ce n’est inaccessibles, par le contexte de crise. A quoi bon donc poursuivre ces procédures actuellement, alors que pratiquement tous les autres pays européens les ont suspendues? N’y a-t-il pas plus urgent à faire?

Protéger, faire preuve de solidarité et de bon sens. Ne pourrait-on partir du principe que les mesures d’instruction sont stoppées, qu’il faut attribuer les gens en procédure étendue au bout de 140 jours et de manière coordonnée avec les cantons, histoire de ne pas les mettre également en difficulté? Les ressources affectées à la prise de décisions absurdes et mal ficelées ne pourraient-elles pas servir à l’organisation urgente de la protection de toutes et de tous? On sait que les conditions de vie dans les centres cantonaux et fédéraux sont un énorme enjeu de santé publique: promiscuité et partage des lieux communs rendent les risques de contamination extrêmement élevés.

Eriger la politique migratoire au-dessus de la santé publique comme le font le directeur du SEM, les responsables du Tribunal administratif fédéral et leur supérieure hiérarchique, la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter, relève de l’irresponsabilité et du déni de réalité.

Il est choquant, alors qu’on entend à longueur de journée des messages de prévention du Conseil fédéral incitant la population à ne pas sortir et à éviter tout contact, de voir que des services de l’administration fédérale obligent des centaines ou des milliers de personnes à se déplacer et à multiplier les rencontres.

Nos invitées sont respectivement coordinatrice et rédactrice de Vivre Ensemble et secrétaire générale de Solidarité sans frontières.

Opinions Agora Sophie Malka Amanda Ioset Asile

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