Les victimes de violence conjugale, y compris de cyberviolence, doivent être protégées
Ce mardi 11 février, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Roumanie pour avoir violé l’article 3 de la Convention, qui interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants, ainsi que l’article 8, qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale, pour ne pas avoir pris des mesures de protection suffisantes d’une femme se plaignant de violences conjugales de son ex-mari1>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 11 février 2020 dans la cause Gina-Aurelia Buturaga c. Roumanie (4ème section)..
La requérante dit avoir subi pendant son mariage des violences physiques et des menaces de mort répétées de son mari, qui se seraient aggravées au mois de novembre 2013, soit durant la période où son mari et elle discutaient de l’éventualité d’un divorce. Le 17 décembre 2013, son mari l’aurait menacée de la jeter par le balcon afin de faire croire à un suicide; le 22 décembre 2013, il l’aurait frappée à la tête et menacée de la tuer avec une hache: elle se serait alors réfugiée dans une pièce de leur appartement et aurait appelé à l’aide. Le lendemain, elle obtint un certificat médical attestant de lésions nécessitant trois à quatre jours de soins, puis elle déposa plainte auprès des autorités pénales de la ville de Tulcea. Elle déposa une nouvelle plainte le 6 janvier 2014. Le divorce fut prononcé à la fin du mois de janvier 2014. Le 18 mars 2014, dans le cadre de la procédure pénale, elle requit une perquisition électronique de l’ordinateur de la famille, alléguant que son mari avait abusivement consulté ses comptes électroniques, dont son compte Facebook, et qu’il avait fait des copies de ses conversations privées, de ses documents et de ses photos. Le 2 juin 2014, la police de Tulcea rejeta cette requête pour le motif que les éléments à recueillir étaient sans rapport avec les infractions de menaces et de violences reprochées à l’ex-mari. Le 17 février 2015, le procureur classa l’affaire, estimant que les éléments de preuve étaient insuffisants. Il fonda sa décision sur les dispositions pénales punissant la violence entre particuliers, et non sur les dispositions spéciales réprimant la violence conjugale. Cette décision fut confirmée par les autorités roumaines supérieures.
La Cour rappelle que la Convention impose aux Etats de prendre des mesures propres à empêcher que des personnes ne soient soumises à des tortures, des traitements ou à des châtiments inhumains ou dégradants, même administrés par des particuliers. Les enfants et autres personnes vulnérables en particulier, dont font partie les victimes de violences domestiques, ont droit à la protection de l’Etat sous une forme efficace, les mettant à l’abri de formes aussi graves d’atteinte à l’intégrité de la personne. Ces obligations positives consistent en l’obligation de prendre des mesures raisonnables dans le but de prévenir les mauvais traitements dont les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance et en l’obligation procédurale de mener une enquête effective lorsqu’un individu fait valoir un grief défendable d’avoir subi des mauvais traitements. Elle rappelle que, dans ce contexte, elle a jugé que les Etats ont une obligation positive d’établir et d’appliquer effectivement un système de répression de toute forme de violence conjugale et d’offrir des garanties procédurales suffisantes aux victimes2>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 23 mai 2017 dans la cause Angelica Camelia Balsan c. Roumanie (4ème section)..
La Cour relève que, dans la présente affaire, les autorités de poursuite roumaines n’ont pas abordé les faits du point de vue de la répression de la violence conjugale, alors que le traitement de telles plaintes implique une diligence particulière en raison des spécificités des faits de violence domestique, reconnues également par la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe3>Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, conclue à Istanbul le 11 mai 2011, entrée en vigueur pour la Suisse le 1er avril 2018 (RS 0.311.35).. Les autorités se sont contentées de conclure à l’insuffisance de preuves sans mener des investigations approfondies, ni même confronter les parties.
En outre, les autorités roumaines n’ont pas du tout enquêté sur la violation du secret de la correspondance invoquée par la requérante. Pourtant, selon la Cour, la cyberviolence est actuellement reconnue comme un aspect de la violence à l’encontre des femmes et des filles et peut se présenter sous diverses formes, dont les violations informatiques de la vie privée, l’intrusion dans l’ordinateur de la victime et la prise, le partage et la manipulation des données et des images, y compris des données intimes. Des actes tels que surveiller, accéder ou sauvegarder la correspondance du conjoint doivent être pris en compte par les autorités qui enquêtent sur des faits de violence domestique.
Notes
* Avocat au Barreau de Genève, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.