Une fausse bonne idée
Il me serait difficile, le 9 février prochain, de ne pas voter pour que soit punissables la discrimination et l’incitation à la haine homophobe, tant je suis évidemment persuadée que rien ne saurait justifier le dénigrement et l’exclusion de tout humain, quel qu’il soit.
Mais pourtant…: je suis gênée par la forme que prend cette légitime revendication.
Ajouter les homosexuels aux Juifs, aux étrangers, aux femmes que la loi se doit de protéger contre le racisme et l’exclusion, n’est-ce pas du même coup désigner implicitement d’autres catégories, non nommées, qu’on aurait dès lors paradoxalement le droit de dénigrer, de déshumaniser, sans encourir de sanctions? Les candidats ne manquent pas: Roms, requérants d’asile, SDF, marginaux de toutes sortes, il y aura toujours des catégories d’humains contre lesquels certains se permettront d’attiser la haine des autres.
Protéger les minorités, toutes les minorités, contre le risque d’être prises comme têtes de Turc (encore une de ces expressions…!) par la majorité qui les domine, c’est une évidence.
Mais compartimenter la haine, n‘est-ce pas une fausse bonne idée?
Il me paraîtrait bien plus adéquat d’édicter une fois pour toutes une norme pénale qui punisse l’expression de la haine et l’incitation à la violence, indépendamment des questions d’appartenances raciales, ethniques, religieuses ou d’orientation sexuelle. En tant que comportements radicalement incompatibles avec le vivre ensemble dans une société démocratique. Point-barre.
Et qu’on revienne dès lors aux nécessaires débats d’idées, que ce soit à l’école, au parlement ou dans les lieux publics. Savoir avec qui couche quelqu’un n’a jamais fait avancer aucun débat. Il existe même une sphère dite «privée» dont relève ce type d’information. Que Tartempion embrasse Jules dans la rue ou qu’ils souhaitent inscrire leur fils à la crèche ne menace en rien ni l’ordre public ni la démocratie.
Fixer dans le marbre une norme pénale concernant telle ou telle catégorie de victimes de comportements haineux ou déshumanisants, c’est finalement les désigner, une fois encore, comme des cas particuliers qui renforcent insidieusement l’idée de norme dominante. Ce ne sont pas les victimes, homosexuelles ou autres, qu’il s’agit de mettre en exergue. Mais bien ces comportements eux-mêmes, pathologiques, antisociaux, antidémocratiques, et qui doivent être désignés et punis comme tels. La haine n’est ni une opinion ni un programme. Quand elle prend la forme d’un comportement, elle mérite d’être réprimée par la loi.
En attendant mieux, je voterai oui à la proposition de modification du code pénal!
Franceline James
psychiatre, Genève