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Vision étroite

Abhijit Banerjee, Esther Duflo et Michael Kremer, lauréats du Prix Nobel d’économie 2019 pour leurs travaux sur la réduction de la pauvreté, exonèrent avec leurs concepts les pays industrialisés de toute responsabilité politique. Eclairage d’Alliance Sud.
Développement

Abhijit Banerjee, Esther Duflo et Michael Kremer se partagent le Prix Nobel d’économie 2019. Leurs recherches montrent qu’une coopération au développement (CAD) bien conçue peut permettre de lutter efficacement contre la pauvreté. Banerjee et Duflo soulignent dans leur fameux ouvrage Poor Economics1>Edition en français: Repenser la pauvreté, Paris, Le Seuil/Les Livres du Nouveau Monde, 2012. que la CAD bien conçue n’a pas besoin de théories abstraites. Ce qu’il faut, c’est une connaissance précise des conditions de vie concrètes sur place et des préférences, souvent influencées par la culture, des personnes en situation de pauvreté.

Les trois scientifiques ont tout à fait raison d’exiger que la CAD examine systématiquement d’un œil critique l’efficacité de ses activités et qu’elle les améliore en permanence. La préférence des trois lauréats pour des mesures expérimentales des impacts, dans lesquelles des groupes témoins choisis au hasard sont comparés entre eux (évaluation par échantillonnage aléatoire, randomized controlled trials, RCT) s’avère cependant problématique. En fin de compte, cette méthode exclut des personnes choisies au hasard de projets de développement uniquement pour être ensuite à même de mesurer si elles sont effectivement moins bien loties que les bénéficiaires du projet.

Les «randomistas», comme on les appelle, n’apportent pas de réponse satisfaisante à la question de savoir comment mesurer les répercussions sociales et politiques à long terme des programmes de développement qui contribuent à l’autonomisation des partenaires. Dans leurs recherches, ils se concentrent sur des projets qui produisent des résultats à brève échéance ou, au mieux, ont un effet à moyen terme. Les changements systémiques permanents, les seuls à mériter d’être appelés «développement», sont clairement négligés.

Mais surtout, les trois chercheurs suggèrent qu’une CAD efficace pourrait sauver le monde sans que d’autres efforts soient nécessaires. Pourtant, un développement mondial durable dans l’esprit de l’Agenda 2030 de l’ONU exige une politique commerciale équitable, un engagement décidé contre le changement climatique et des mesures efficaces contre les transferts de bénéfices et les pratiques d’évasion fiscale des ­multinationales.

Notes[+]

Notre invité est le directeur d’Alliance Sud, www.alliancesud.ch/fr; paru dans la revue Global, n° 74, édition hiver 2019-20.

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