Chroniques

La grande crise de l’empathie humaine

ACTUALITÉS PERMANENTES

L’empathie est un mécanisme fondamental chez les animaux évolués. Elle commence, inconsciemment, avec la mise en place d’inhibition de l’agression, comme celle qui empêche de manger sa descendance ou ses congénères chez certains poissons. Ces mécanismes sont un avantage pour l’espèce: ils favorisent la fécondité, permettent la vie en société et la transmission par apprentissage.

L’agression, à l’intérieur de l’espèce, avantage la survie et la fécondité de certains individus, mais est défavorable à celles de l’espèce. Elle a pu se maintenir, en particulier dans les espèces à forte fécondité, en créant des structures sociales territoriales ou hiérarchiques. Mais, même quand la compétition semble avantageuse en sélectionnant des caractères adaptatifs, des mécanismes inhibiteurs de l’agression en limitent les dégâts. Chez presque toutes les espèces évoluées, on n’agresse pas les jeunes ni les femelles.

Dans la compétition pour les ressources ou les partenaires, les confrontations, si spectaculaires soient-elles, finissent plus souvent par la fuite du vaincu ou la réconciliation que par la mort. Chez les loups, les grands chimpanzés et bien d’autres espèces, des comportements de soumission et de réconciliation empêchent, le plus souvent, les issues fatales. Toutefois, les grands chimpanzés et les rats sont les seuls animaux non humains chez lesquels des agressions collectives mortelles entre troupes rivales de la même espèce sont bien documentées.

Faire la guerre et vivre des confrontations permanentes entre congénères est donc une spécificité humaine peu partagée, si l’on excepte les deux espèces mentionnées et les populations domestiques d’animaux de combat sélectionnées génétiquement par des humains pendant des dizaines ou des milliers de générations pour leur agressivité. Des populations artificielles qui ne survivraient pas dans la nature!

La comparaison des grands chimpanzés et des bonobos, séparés depuis «seulement» deux millions d’années, montre que les descendants d’une même espèce peuvent être deux espèces dont l’une est très agressive et l’autre, les bonobos, beaucoup moins, par une irritabilité moindre et par des mécanismes d’inhibition de l’agression bien plus efficaces. Chez les mammifères supérieurs, l’inhibition de l’agression repose en grande partie sur la perception et le ressenti des émotions des vis-à-vis, base d’une empathie sans aucun doute consciente.

La question devient alors, en particulier pour les humains, de savoir pourquoi et quand ces mécanismes, qui devraient nous empêcher de tuer ou d’agresser sévèrement nos semblables, sont débordés, puisqu’ils le sont sans cesse lors des guerres et autres affrontements collectifs. La réponse est double, biologique et culturelle. Du côté culturel, la prescription de tuer ou de nuire aux autres, individuellement ou collectivement, est présente dans la plupart des cultures dominantes et dans beaucoup de sociétés traditionnelles. Encore faut-il qu’elle soit suivie et réalisée, ce qui suppose que l’on surmonte les inhibitions biologiques, en particulier l’empathie pour son vis-à-vis, qui passe d’abord par le regard.

D’où les entraînements spécifiques de ceux qui doivent tuer, d’autant plus violents qu’ils devront agresser de près, et le développement d’armes de plus en plus sophistiquées non seulement pour atteindre leur cible, mais aussi pour que leurs utilisateurs ne perçoivent pas le regard et l’humanité de ladite cible. Depuis les conditionnements brutaux et bestiaux que l’on fait subir aux militaires et à certains policiers, y compris dans les «démocraties», jusqu’aux drones et missiles commandés de très loin. C’est alors l’empathie qui doit être inhibée à tout prix, pour être aussi absente que dans les jeux électroniques et les films de guerre, tandis que l’agressivité est stimulée! Et tout ceci n’est pas près de s’arrêter tant que nos sinistres maîtres capitalistes et néolibéraux nous asséneront par tous les médias, les jeux, les sports et les éducations que la compétition est la clé de tous les succès, parce que ce serait la seule loi de la nature! Ce qui est complètement faux…

* Chroniqueur énervant.

Opinions Chroniques Dédé-la-Science

Chronique liée

ACTUALITÉS PERMANENTES

lundi 8 janvier 2018

Connexion