Édito

Incurie criminelle

Incurie criminelle
La puissance occidentale fait fuir les fondamentalistes de Kaboul, mais la coalition s’embourbe dans le reste d’un territoire réputé imprenable. KEYSTONE-ARCHIVES
International

Les «Afghanistan Papers» publiés par le Washington Post lundi sont effarants. S’appuyant sur 2000 documents officiels, ils relèvent – ou confirment plutôt –, de la bouche même de hauts responsables étasuniens, l’amateurisme et les errements catastrophiques et meurtriers de trois gouvernements successifs, l’installation d’une kleptocratie au pouvoir à Kaboul, le gaspillage de milliers de milliards de dollars et le mensonge érigé en politique d’Etat.

En dix-huit ans, au moins des dizaines de milliers de civils afghans ont été tués. Quelque 775’000 soldats étasuniens ont été déployés, entre 2300 et 2440 y sont morts, tandis que 20’589 y ont été blessés. Sans que personne, ni à Washington ni sur le terrain, ne comprenne vraiment dans quel but.

L’objectif de l’invasion en octobre 2001 est clair: des représailles après le 11-Septembre, visant Al-Qaïda et les obscurantistes talibans accusés d’héberger Ben Laden. La suite n’est que tâtonnements. La puissance occidentale fait fuir les fondamentalistes de Kaboul, mais la coalition s’embourbe dans le reste d’un territoire réputé imprenable. Et perd toute boussole, cette guerre n’étant motivée que par l’interventionnisme pour l’interventionnisme.

En 2003 déjà, le secrétaire d’Etat à la défense, Donald Rumsfeld, reconnaît dans une note interne: «Je n’ai aucune visibilité sur qui sont les méchants». Ça ne s’est pas amélioré avec le temps. En 2015, Douglas Lutte, un général cité par le Post, déclare: «Nous n’avions aucune réelle compréhension de l’Afghanistan. Nous ne savions pas ce que nous faisions.» Mais personne ne doit le savoir. «Chaque donnée était transformée pour dépeindre le meilleur tableau possible», affirme le colonel Bob Crowley, haut conseiller de la mission de l’Otan en Afghanistan.

Ces documents étalent au grand jour l’incurie criminelle de Washington dans ses interventions militaires. Car ce fiasco n’a pas empêché George W. Bush de remettre ça en Irak deux ans après. Avec le mensonge en étendard, envahissant le pays sous de faux prétextes, avec cette fois pour objectif de faire main basse sur ses gisements pétroliers, au prix centaines de milliers de morts et la déstabilisation de toute une région.

Son successeur, Obama, n’a pas su, malgré ses promesses, sortir de ces bourbiers. Et l’abandon récent des alliés Kurdes de Syrie contre Daesh face aux attaques de la Turquie prouve que les Etats-Unis, sous Trump cette fois, ne cessent d’intervenir à l’étranger pour s’affirmer comme superpuissance, mais sans aucune vision stratégique ni considération pour la vie des populations locales.

Sans oublier que les crimes de guerres commis nourrissent ce contre quoi ces interventions prétendaient lutter.

Opinions Édito Gustavo Kuhn International

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