«Le peuple, au Chili, a besoin de solidarité»
Le tremblement social qui touche le Chili ne finit pas de secouer le pays. L’énergie accumulée par les milieux populaires, exclus du partage des richesses, des décisions politiques et de la reconnaissance de leur existence sociale, a jailli de manière extraordinaire. Des centaines de milliers de personnes ont exprimé leur colère, libéré leur parole et remémoré leur propre histoire de lutte. Secoué par plusieurs jours de terreur, la catharsis sociale a atteint son apogée lors des manifestations rassemblant près de deux millions de personnes au Chili. Le mouvement d’apparence tout à fait ordinaire initié par les lycéens début d’octobre est devenu un mouvement d’émancipation massif et durable.
Les rapports sociaux ont été bousculés au point que les cloisons qui séparent les populations, comme par exemple l’âge, le genre, le secteur d’activité, les convictions idéologiques ou même les adhésions sportives ont été surmontées, en tout cas momentanément. Même la barrière la plus puissante, celle qui sépare la caste politique et le peuple, a subi des fissures. Le pouvoir souverain des gens mobilisés dans la rue est en passe de tourner la page de l’histoire la plus noire du pays.
Le régime économique et politique a exercé son contrôle sur la population durant des décennies mais a dû céder du terrain face à la mobilisation. Le Chili a expérimenté le néolibéralisme jusqu’à son paroxysme, un modèle imposé durant la dictature et modernisé par le régime démocratique conservateur. Ce jaillissement populaire est donc aussi une réaction aux gouvernements de centre-gauche qui ont mené des réformes «dans la mesure du possible» sous la tutelle de l’oligarchie au pouvoir. La Constitution de 1980 est toujours un verrou et sa modification complète reste l’enjeu principal de la lutte entre ceux d’en haut et ceux d’en bas. Les répliques du séisme chilien laissent néanmoins présager maints dangers.
Le gouvernement en place a tenté de faire taire la mobilisation de la manière la plus brutale qu’il soit et le bilan humain qui en résulte est énorme. Le degré de violence des appareils policiers a atteint des niveaux impressionnants de barbarie. Et les blessures du passé dictatorial ont ressurgi de manière traumatique. Durant plusieurs jours, les Chiliens ont éprouvé dans leurs propres corps les sentiments contradictoires du peuple en lutte. Avec les artistes, ils ont chanté et dansé. Avec les blessés et les familles des victimes mortelles, ils ont pleuré et rongé leur rage. Le but des forces répressives ne semble plus se limiter au maintien de l’ordre public, mais des évidences nous suggèrent fortement l’intention de punir, blesser, voire mutiler les manifestants.
L’ingérence des forces armées dans le terrain civil et politique est aussi particulièrement inquiétante, sachant les liens étroits qu’elles entretiennent avec le Southern Command, bras armé des Etats-Unis sur le continent latino-américain. En effet, l’activation des plaques tectoniques du continent a révélé le fragile équilibre géopolitique de la région. Le coup d’Etat en Bolivie fait entrevoir le pire, comme la résurgence de groupes d’extrême-droite à tendance fortement autoritaire voire fasciste.
L’éveil chilien amène de nombreuses interrogations qu’il est nécessaire de débattre entre les peuples qui luttent contre le même fléau: le capitalisme globalisé. Le peuple, au Chili, a réussi à replacer son propre imaginaire d’émancipation au centre de la société mais il a besoin de toute notre solidarité. A Genève, nous avons mis en place une Plateforme d’unité sociale pour faire écho à ses revendications, ses luttes et ses appels. Ici aussi, nous tentons d’écarter les cloisons artificielles qui nous séparent, Suisses, étrangers, hommes, femmes, étudiants, actifs ou retraités, afin de mettre l’humain d’abord en lieu et place du profit capitaliste. Nous invitons la population locale à prendre part à ce projet car l’échange entre les peuples est fondamental en ce moment!
Article écrit par le Collectif chilien de Genève, unidadsocial.ginebra@gmail.com
Soirée publique «Que se passe-t-il au Chili?» jeudi 5 décembre à Genève. Au menu: info, discussions et projections. De 18h30 à 21h30 à L’Atelier, 11, rue de la Coulouvrenière, (L’Usine, 2e étage).