De quoi le vert est-il la couleur?
Bündnis 90/Die Grünen (Alliance 90/Les Verts) semble être devenu une force politique majeure en Allemagne. Le parti fondé en 1990 n’occupe que 8,9% des sièges au Parlement fédéral, ce qui n’en fait que la sixième faction du pays. Les Verts expriment cependant clairement leur ambition à gouverner, rêvent de la chancellerie et redéfinissent leur programme en fonction.
L’écologie semble s’être imposée à l’agenda en Allemagne: entre les manifestations de Fridays for Future, les milliards d’investissements promis à la Deutsche Bahn et le grand dessein de Volkswagen de faire de son nouveau modèle électrique la future voiture-pour-tous, le pays semble vibrer pour l’environnement. Les Verts, dont les résultats aux élections européennes (20,5%) de 2019 ont plus de deux fois dépassé leur représentation au niveau fédéral, entendent bien capitaliser sur cette dynamique. Pour s’imposer face aux partis gouvernementaux vieillissants (CDU/CSU et SPD) ou face à la Gauche (Die Linke), ils doivent cependant réaliser un effort important, qui a tout d’un grand écart: dépasser leur électorat traditionnel et conquérir le centre bourgeois.
L’électorat des Verts allemands est assez stable: haut niveau d’éducation, salaire supérieur à la moyenne, jeune, actif dans le secteur tertiaire et domicilié en ville, à quoi s’ajoute la catégorie des primo-votant-e-s – un électorat qui se définit assez librement comme «de gauche». Les Verts sont bien implantés dans l’ouest de l’Allemagne – la carte électorale suit fidèlement l’ancienne frontière, Berlin excepté – et surtout dans les circonscriptions du nord et du sud. Pour élargir sa base électorale, le parti est donc confronté à plusieurs défis: s’imposer dans les campagnes, trouver pied à l’est, récupérer les déçus du SPD (Parti social-démocrate) et convaincre les retraité-e-s.
Leur ambition se traduit dans la stratégie décidée lors du Parteitag [congrès du parti] des 15-17 novembre derniers. Cette dernière se résume en un concept: l’économie de marché écologique et sociale. En d’autres termes, les Verts ont enterré les dernières voix anticapitalistes qui résonnaient dans le parti depuis sa fondation. En affirmant adhérer à l’idéologie dominante, les Verts envoient ainsi un signal fort: ils sont prêts à une coalition gouvernementale avec les Libéraux et, sous condition, avec les conservateurs de l’Union chrétienne (CDU/CSU). Les expériences réalisées au niveau des Länder cette dernière décennie – les Verts gouvernent avec la CDU en Hesse depuis 2014, et en Bade-Wurtemberg depuis 2016 – sont ainsi jugées positivement.
Le message radical associé à l’écologie, qui insiste volontiers sur l’urgence de l’intervention, se trouve ainsi progressivement dilué dans les principes de l’économie de marché. Le «développement durable» a pris le pas sur la «durabilité»: malgré un certain scepticisme face au mythe de la croissance infinie, les Verts allemands défendent celui de la croissance verte. Avec cette position, le parti se réclame donc du centre gauche allemand, récupère les thèmes du SPD – l’augmentation du salaire minimum, la réforme de l’assurance chômage et une politique du logement plus favorable aux locataires notamment – et y ajoute une dimension écologique qui se concrétise dans de plus grandes contraintes pour les entreprises. Pour réaliser ses objectifs, le parti estime nécessaire de dépasser l’obsession allemande pour l’équilibre budgétaire et lancer de grands investissements: une attaque contre le SPD qui défend toujours, en la personne du ministre des Finances et probable futur chef du parti Olaf Scholz, une ligne stricte proche de l’austérité.
Sous une rhétorique parfois radicale, les Verts allemands proposent ainsi une politique modérée et compatible avec la tendance dans laquelle les partis gouvernementaux mènent le pays ces dernières décennies.
Notre chroniqueur est un historien romand établi à Berlin.