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Le système alimentaire mondial, un ogre qui mange parents et enfants

Débat

Le système agro-alimentaire doit nécessairement fonctionner «au service de ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire ceux-là même qu’il marginalise et maltraite: les petits paysans, les femmes et leurs enfants.» A l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation, ce 16 octobre, Swissaid Genève organise une table ronde sur cette thématique.

Les chiffres de l’alimentation mondiale barbouillent l’estomac. Le dernier rapport des Nations Unies, intitulé «Etat de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde», fait état de 820 millions de personnes souffrant de la faim. Ce nombre augmente depuis 2015, à l’encontre des objectifs affichés de «zéro faim» des Nations Unies pour 2030. En outre, plus de 2 milliards de personnes souffrent d’insécurité alimentaire; elles sont privées d’un accès régulier à des aliments nutritifs en quantité suffisante. Les femmes et leurs enfants sont particulièrement concernés. L’anémie touche un tiers des femmes en état de procréer, et l’insuffisance pondérale concerne une naissance sur sept, soit 20,5 millions de nourrissons. Parallèlement, l’excès pondéral et l’obésité progressent rapidement dans toutes les régions du monde. Un adulte et adolescent sur trois est en surpoids, soit plus de 2 milliards de personnes au total.

Cette situation a des conséquences sanitaires et économiques dramatiques. Un poids insuffisant en bas âge est corrélé à un taux de mortalité plus élevé chez l’enfant, à des retards de croissance physiques et mentaux, et à l’apparition de maladies chroniques à l’âge adulte, dont le diabète ou l’obésité. La dénutrition en Afrique est à l’origine d’un recul de 11% du produit intérieur brut (PIB). Quant à l’obésité qui explose, elle est responsable de 4 millions de décès à l’échelle mondiale et coûte environ 2 milliards de dollars par an, dû à la perte de productivité économique et aux coûts des soins.

Mais comment en est-on arrivé à ces extrêmes qui augmentent chaque jour? Il y a pourtant assez de nourriture pour chacun et chacune dans le monde. En Suisse, près d’un tiers des aliments finissent même dans les poubelles.

Le système international de production alimentaire et d’échanges commerciaux sur de longues distances est régulièrement pointé du doigt. Concernant le surpoids et l’obésité, l’aval de la chaîne alimentaire est décrié: les produits industriels seraient trop riches en graisse, sucre et sel, mais trop pauvres en nutriments essentiels pour notre santé. Pour la faim et l’insécurité alimentaire, c’est l’amont de la chaîne qui pose le plus problème. En effet, les politiques mondiales agricoles successives ont réduit les produits de rente à des «commodités» ou des «denrées de base», au même titre que n’importe quel autre bien. Dans les pays producteurs, ceci a eu comme principal effet l’accaparement des ressources productives (la terre, l’eau) au bénéfice d’un nombre restreint de grands producteurs, eux-mêmes imbriqués dans une chaîne agro-alimentaire.

Cette situation a eu trois conséquences. La première est la montée des conflits et des inégalités à l’intérieur des pays producteurs. Les petits paysans se sont retrouvés exclus des terres fertiles et des points d’eau au profit de la production de denrées de base comme le soya, l’huile de palme ou même le blé. Incapables de produire la nourriture suffisante pour leur propre consommation, ils s’enfoncent dans l’insécurité alimentaire et la pauvreté. La seconde conséquence est une insécurité alimentaire toujours plus grande dans les pays fortement exportateurs de produits de base. En effet, la dépréciation structurelle du marché des échanges internationaux de commodités agricoles touche durement ces pays, conduisant à une stagnation économique. Les Etats se retrouvent alors dans l’incapacité de couvrir les besoins essentiels de leur population, et tendent à poursuivre une politique d’exportation, pour gagner en volume ce qui est perdu en marge.

Enfin, le système alimentaire actuel contribue grandement au changement climatique. Il génère plus de 30% des gaz à effet de serre par la combinaison toxique de la déforestation, de la mécanisation, des produits phytosanitaires, du transport international, du packaging et de la réfrigération. A ce titre, il aggrave la situation déjà compliquée de l’adaptation de l’agriculture et de l’élevage aux changements de température et pluviométries.

Pour que l’ogre alimentaire arrête de manger ses enfants, en sous alimentant les uns et en goinfrant les autres, il faut que le système fonctionne au service de ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire ceux-là même qu’il marginalise et maltraite: les petits paysans, les femmes et leurs enfants. Ceci passe par un changement radical de perspective sur l’alimentation et la nutrition. Il s’agit d’assurer la participation des petits producteurs pour qu’ils fassent valoir leurs droits fondamentaux (sur l’accès à la terre, aux semences, aux organisations politiques, à la commercialisation). Il s’agit également d’établir un suivi étroit de redevabilité, afin que cette filière bénéficie les femmes autant que les hommes.

Table ronde: Les enjeux de la «Nutrition saine, le rôle oublié des parents» seront l’occasion d’un débat organisé par Swissaid Genève, mercredi 16 octobre à 18h30 à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID, 2A, ch. Eugène-Rigot). Participants: FAO, Nestlé, IHEID, Union des paysannes et femmes rurales genevoises, Swissaid Guinée-Bissau.

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