Édito

Danse de l’évitement

Danse de l'évitement
En trois jours de combats, l'assaut turc charrie son lot de civils déplacés – 130 000 selon l’ONU – et de morts. KEYSTONE
Syrie

La guerre est à l’œuvre en Syrie. En trois jours de combats, l’assaut turc charrie déjà son lot de civils déplacés – 130 000 selon l’ONU – et de morts: 104 combattants kurdes et plus de 60 civils selon un décompte appelé à croître. La réponse internationale envers cette attaque par le régime de Recep Tayyip Erdogan s’avère dramatiquement frileuse.

La France et l’Allemagne se sont enfin décidées à cesser les exportations d’armes vers la Turquie. Tant mieux. Mais cette décision n’aurait-elle pas dû intervenir bien plus tôt? Les avertissements quant aux risques de nettoyage ethnique encourus par la communauté kurde se font entendre depuis des années, depuis les attaques en 2015 de Cizre ou de Diyarbakir avec des armes lourdes. Dans les années 1990, déjà, l’armée turque commettait des exactions envers les Kurdes sous couvert de lutte contre les «terroristes» du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Mais la communauté internationale est mal prise. Le Vieux-Continent mange dans la main d’Erdogan, gardien de l’un des verrous migratoires de la forteresse Europe. La Turquie est par ailleurs membre de l’alliance de l’OTAN, tout en étant dans les bonnes grâces de la Chine et de la Russie. En diplomatie onusienne, cela donne une curieuse danse de l’évitement: les Etats-Unis refusent ainsi de condamner les bombardements, mais «réaffirment n’avoir donné aucun feu vert» et «évoquent des conséquences pour Ankara si l’offensive turque menait à une crise humanitaire» (Le Monde, 11 octobre).

A qui chercherait le terme «sanctions», il est facile de s’épargner ce labeur: il ne figure nulle part. Le Venezuela et Cuba apprécieront l’égalité de traitement. Et la timide déclaration du Conseil de sécurité de l’ONU, qui appelait à la voie diplomatique plutôt que militaire, a finalement été bloquée par la Russie.

La Suisse pas en reste

Des paroles en l’air et sans effet, malgré la menace imminente pour les Kurdes, donc. La Suisse n’est pas en reste, qui se targue sur le site des Affaires étrangères des «relations étroites et diversifiées» entre nos deux pays, des 2,6 milliards d’investissements suisses sur place ou de la coopération policière, à la migration et à la lutte contre le terrorisme…

Des parlementaires (PS et Verts) ont appelé le Conseil fédéral à immédiatement suspendre la ratification de l’accord de libre-échange avec la Turquie. A quoi des élus bourgeois (PDC et PLR) ont rétorqué que l’accord prévoyait «de soulever des questions relatives aux droits de l’homme». Décidément, l’économie a ses raisons que l’on connaît trop bien; cela s’appelle le cynisme. Erdogan doit décidément trembler dans ses bottes.

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