Chroniques

Le sexisme au féminin

POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

Régulièrement sur la scène médiatique, on nous ressert le sexisme au féminin. Bien sûr, on ne va pas le nier, il existe et c’est tout à fait désespérant. Pas de raison qu’il en soit autrement. Si le féminisme peut être porté par des hommes (il l’a été dès le combat suffragiste et l’est toujours), le patriarcat peut être relayé par les femmes. C’est ce que Bourdieu désigne à travers la notion de violence symbolique, soit la participation des dominées à leur propre domination. Bon, si l’analyse vaut la peine d’être faite, elle a surtout été et est encore bien récupérée. Combien de fois n’entend-on pas dire que les femmes contribuent par leur propre comportement à la perpétuation de l’oppression? En bref c’est quand même aussi un peu leur faute…

Alors, donc, le sexisme au féminin, c’est ce qui permet à certaines femmes de dire qu’elles ne voudraient surtout pas bosser qu’avec des femmes, qu’il n’y a rien de plus affreux que ces ambiances de pipelettes, de poules qui se volent dans les plumes… Bizarrement, ces mêmes femmes taisent les violences sexistes subies dans les environnements masculins, de la blague salace à la main aux fesses, en passant par des mises à l’épreuve d’une violence parfois inouïe, histoire de renvoyer les femmes dans les domaines professionnels qui seraient faits pour elles. Bref, le sexisme au féminin, on y assiste tous les jours, et on s’en passerait bien.

Ce sujet est à nouveau au cœur des débats à cause d’une réponse vidéo de Claude-Inga Barbey à une autre vidéo (de campagne celle-là) de Céline Amaudruz. La seconde traitant la première de sexiste – si, si vous avez bien lu! Visiblement, la vice-présidente de l’UDC a découvert le féminisme, ou ce qui l’arrange dans le féminisme. Rappelons qu’épisodiquement, quand le parti ne cherche pas à renvoyer les femmes au foyer (en offrant une déduction fiscale aux familles, comprenez aux femmes qui gardent elles-mêmes leurs enfants) ou à soutenir l’initiative mettant en cause le droit à l’avortement en attaquant son remboursement par l’assurance-maladie («Financer l’avortement est une affaire privée»), il instrumentalise le féminisme. Ainsi, sur l’affiche contre les minarets, on voyait une femme en burqa.

D’ailleurs l’interdiction du voile est aussi un de ses combats visant l’émancipation des femmes… ou simplement permettant une attaque islamophobe sous couvert!
Mais regardons de plus près de quoi il s’agit. Claude Inga-Barbey a réalisé une vidéo mettant en scène son habituelle femme de ménage espagnole croquant l’actualité, et parodiant la chanson Céline de Hugues Aufray. Si son air nous trotte immédiatement dans la tête, que nous l’avons fredonnée toute notre adolescence, elle n’en est pas moins terriblement sexiste. Elle rend hommage à une femme qui a renoncé au mariage pour s’occuper de ses frères et sœurs, même si elle «aurait pu rendre un homme heureux» – le but ultime de toute femme étant forcément le couple hétérosexuel, le mariage et la dévotion à un homme. En reprenant cette chanson, et en supposant que c’est parce que ses amants camerounais et frontaliers l’ont abandonnée qu’elle est entrée à l’UDC, l’humoriste fait elle aussi preuve de sexisme. On peut détester les idées d’Amaudruz, mais il est bien triste de l’attaquer sur son célibat et la frustration supposée qui va avec (puisque par dépit elle se serait engagée en politique)…

Mais cela ne s’arrête pas là, celle qui crie au sexisme a elle-même produit une vidéo qui est tout autant… sexiste. Eh oui, personne n’est à l’abri! Certes, l’élue UDC se présente comme une femme autonome qui sait utiliser une visseuse et réparer elle-même sa porte, mais façon Lara Croft. Elle joue de tous les ressorts sexistes de la mise en scène des corps féminins, première séquence en plan américain (buste-hanches ou faut-il dire ici seins-hanches), où elle opte pour un gros plan sur ses seins pour montrer… qu’elle remonte ses manches. Puis glissement sur sa jupe crayon et zoom sur ses fesses lorsqu’on la voit arriver chez elle. Bref, pour mettre en scène son clip sur les criminels étrangers, elle use des ressorts tant dénoncés par les féministes chez les publicitaires, le morcellement du corps féminin et sa réduction à ses attributs sexualisés. On ne voit d’ailleurs pas très bien le rapport avec le cambriolage. Et, last but not least, en parlant de «braqueurs importés», elle associe trois termes: criminels, étrangers et hommes, faisant de tout homme étranger un criminel, une autre démonstration de sexisme.

Bref, vous l’aurez compris, pour dénoncer le clip sexiste et raciste de l’une, l’autre répond avec un clip sexiste et raciste. Un partout et toutes perdantes!

Les auteures sont investigatrices en études genre.

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