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Le Tibet face à l’impérialisme chinois

Depuis son annexion par la Chine, le Tibet ne jouit du statut de «région autonome» que sur papier. Privés de leurs droits, de nombreux Tibétains ont choisi l’exil. La Société d’amitié suisse-tibétaine rappelle que la lutte de cette communauté est «emblématique du combat de tous les peuples opprimés». Une table ronde est prévue le 27 septembre à Genève.
Le Tibet face à l’impérialisme chinois
Des membres de la diaspora tibétaine d’Europe s’étaient rassemblés devant l’ONU, à Genève, le 10 mars 2018, pour commémorer le 59e anniversaire du soulèvement national tibétain contre l’occupation chinoise. KEYSTONE/Martial Trezzini
Solidarité

Région profondément marquée – comme la Mongolie ou la Bouriatie – par une forme particulière du bouddhisme, dit véhicule du diamant (vajrayana1> Blofeld, J., Le bouddhisme tantrique du Tibet, Paris, Seuil, Collection Points/Sagesse, 1976 (éd. originale 1970)., le Tibet reste entouré d’un halo de mystère. Qu’on le connaisse à travers les ouvrages de l’exploratrice Alexandra David-Néel qui a réussi à déjouer tous les interdits2>David-Néel, A., Mystiques et magiciens au Tibet, Paris, Plon, 1ère éd. 1929 (Pocket n° 1921); Voyage d’une Parisienne à Lhassa, Paris, Plon, 1ère éd. 1926 (Pocket n° 2095), les récits d’Ella Maillart ou de Tintin au Tibet, le «pays des Neiges» s’est retrouvé bien malgré lui à la une de l’actualité en 1951. En effet, dans le sillage de sa conquête de la Chine, Mao n’avait nullement l’intention de s’arrêter à une frontière qu’il ne reconnaissait pas, bien que le droit international relevait l’indépendance de fait de cette région d’Asie centrale.

Froidement annexé en 1951

En juillet 1960, la Commission internationale des juristes publiait les conclusions de son Comité d’enquête sur la question du Tibet. Après examen approfondi, ce dernier a en effet constaté «que le Tibet était un Etat indépendant, tout au moins de facto, au moment où l’Accord dit ‘sur les mesures de libération pacifique du Tibet’ a été signé en 1951 (…); de 1913 à 1950, le Tibet réunissait les éléments constitutifs d’un Etat, au sens du droit international public. En 1950, il y avait là une population fixée sur un territoire et régie par un gouvernement qui administrait les affaires intérieures sans aucune immixtion étrangère. De 1913 à 1950, les relations extérieures du Tibet relevaient de son propre gouvernement; il ressort des documents officiels que les pays qui entretenaient alors avec le Tibet des relations diplomatiques l’ont toujours traité en fait comme un Etat souverain»3>CIJ, Genève, juillet 1960, Le Tibet et la République populaire de Chine, p. 6.. Une lointaine suzeraineté de l’empereur de Chine en était la seule relativisation, mais dans la pratique, le Tibet se gouvernait bien lui-même. Prétextant la nécessité de «libérer» le peuple tibétain qui n’en était aucunement demandeur et d’éliminer «l’influence des forces agressives de l’impérialisme au Tibet»4>Préambule de l’«Accord» de 1951., l’Armée rouge entra dans Lhassa en 1950 et prit ses quartiers en face de la résidence du dalaï-lama, le Norbulingka. Le 14e dalaï-lama 5>Barraux, R. Histoire des dalaï-lamas, Paris, Albin Michel, 1993., chef spirituel et temporel du peuple tibétain, avait alors tout juste 16 ans.

Un temps, il sembla qu’une sorte de coexistence soit possible. En effet, si l’«accord» imposé en 1951 à la partie tibétaine consacrait la fin de toute indépendance nationale, il affirmait aussi que «les autorités centrales n’altèreront pas le système politique existant au Tibet, (…) ne modifieront pas non plus le statut établi, les fonctions et les pouvoirs du dalaï-lama. Les responsables des divers rangs resteront à leur poste comme d’habitude. Pour ce qui est des différentes réformes au Tibet (…) le gouvernement local du Tibet pourra mettre en œuvre les réformes selon son propre gré (…). Les croyances religieuses, les traditions et les coutumes du peuple tibétain seront respectées, et les monastères lamaïques seront protégés. Les autorités centrales ne toucheront pas aux ressources des monastères.»6>www.tibet-info.net/www/L-Accord-en-17-points.html

Puis fut mis en place un comité préparatoire pour définir le statut de la «Région autonome du Tibet», en réalité une tentative de piéger les notables tibétains, dilués dans une majorité de collaborateurs et de Chinois. Il apparut assez vite que l’«accord», malgré les efforts du gouvernement tibétain, n’était qu’une façade; dans le pays, le mécontentement face à l’envahisseur grandissait.

En mars 1959, le commandement militaire de Lhassa invita le dalaï-lama à assister à un spectacle dans le cantonnement chinois, mais – contrairement au protocole – sans sa garde de vingt-cinq soldats tibétains et ses proches collaborateurs. Flairant le piège, craignant son enlèvement et son emprisonnement, la capitale se souleva. La répression qui s’ensuivit n’eut rien à envier à celle qui, trente ans plus tard, écrasera la révolte étudiante sur la place Tien An Men; un déluge d’artillerie s’abattit sur la ville et ses principaux monuments, laissant un large nombre de morts et de blessés. Le dalaï-lama dut s’exiler en Inde, suivi par des dizaines de milliers de ses compatriotes. Le gouvernement tibétain fut démis et une période d’implacable mise au pas commença. 7>Pour un récit détaillé de ces journées décisives, lire Tenzin Gyatso Dalaï-lama, mon pays et mon peuple, Genève, Olizane, 1984 (éd. originale 1962).

Depuis, il y a deux Tibet. Celui des communautés tibétaines en exil, environ 130 000 personnes habitant principalement en Inde mais aussi dans d’autres parties du monde – Europe et Etats-Unis – et celui des actuellement six millions de Tibétaines et Tibétains vivant sur place.

Un peuple dépossédé

Le Tibet en exil choisit, sous la conduite du dalaï-lama, de se doter d’une gouvernance démocratique, avec un parlement élu par les communautés tibétaines du monde, un gouvernement responsable devant lui et une commission de justice; les Tibétain-e-s sont bien sûr soumis aux législations des Etats dans lesquels ils résident. Il développe une action soutenue pour rappeler la situation du peuple tibétain, et cherche en vain le dialogue avec le pouvoir chinois. En 2011, le dalaï-lama renonça à toute fonction politique, se concentrant sur son rôle de guide spirituel, et dispensant au monde son enseignement d’humanisme, de fraternité et de respect de la nature. La position du gouvernement en exil n’est pas, contrairement à ce que la propagande chinoise aime à faire croire, de retrouver une indépendance perdue, mais que la «Région autonome du Tibet» soit ce qu’elle prétend être.

Au Tibet, la révolution culturelle fut particulièrement dévastatrice. Temples, monastères, statues, enluminures, manuscrits précieux furent taillés en pièces, démantelés, jetés au feu ou anéantis d’une autre manière. Depuis 1959, 90% des biens et sites culturels, religieux et traditionnels tibétains ont été détruits et une petite partie seulement remise en état.

Puis la région, devenue colonie de peuplement chinoise, a vu ses ressources naturelles saccagées et s’installer un mode de vie occidentalisé et consumériste à l’excès, si bien que le peuple tibétain se retrouve étranger dans son propre pays. La sédentarisation forcée de milliers de nomades a rendu leur mode de vie ancestral pratiquement impossible.

Inutile de dire qu’il n’y existe – comme d’ailleurs partout en Chine – aucune liberté d’association ni d’expression. Si l’enseignement et la pratique de la médecine tibétaine semblent possibles, celles de la langue ou de la religion sont à la merci des humeurs des dirigeants chinois. Depuis quelque temps, des représentants du gouvernement et du parti ont pris le contrôle de la plupart des monastères et lieux de culte encore ouverts, veillant à ce qu’ils restent dans la ligne officielle.

Ambivalence helvétique

Devant cette impasse, plus de 150 Tibétain-e-s se sont immolés par le feu depuis 2009. Et c’est avec fermeté que le peuple tibétain maintient en son for intérieur sa culture et sa foi bouddhiste. Son attachement au dalaï-lama reste entier, même s’il est interdit de prononcer son nom et de posséder son portrait. Seul le Xinjiang (ou Turkestan oriental) subit une répression plus systématique encore, mettant en œuvre une surveillance totale de la population, sous prétexte de menées islamistes dans cette région d’obédience musulmane.

La Suisse a été à la fois un des premiers pays à reconnaître la victoire de Mao en 1949 et, dix ans plus tard, à accueillir un nombre important de réfugiés tibétains. La communauté tibétaine de Suisse compte aujourd’hui quelque 7500 personnes – très majoritairement en Suisse alémanique –; elle fait un maximum pour cultiver ses traditions culturelles et religieuses, notamment leur transmission aux jeunes générations.

Selon sa pratique constante, la Chine proteste dès qu’une autorité se permet d’avoir un contact avec un-e représentant-e du gouvernement tibétain en exil, voire de recevoir le dalaï-lama. On observe aussi des menées d’agents chinois en Suisse, et les sans-papiers tibétains doivent se rendre au consulat de Chine pour leurs documents officiels… La Suisse a même renoncé depuis 2014 à spécifier leur origine tibétaine.

Ces éléments sont des signaux d’alarme alors que la solidarité avec le peuple tibétain est plus importante que jamais. D’une part, parce que les droits humains ne se divisent pas. D’autre part, parce que même (et surtout) la plus grande puissance du monde a besoin qu’on lui fixe des limites. Gagner des parts de marché, faire de bonnes affaires, ne peut jamais justifier de céder devant la violation des droits ­humains.

Table ronde à Genève

La situation au Tibet illustre bien la façon des dirigeants chinois de voir le monde, et nous sommes tous concernés. La Société d’amitié suisse-tibétaine (SAST) organise une table ronde intitulée «Le Tiber face à l’impérialisme chinois» vendredi 27 septembre à l’UOG. Y participeront Marguerite Contat, Lizza Mazzone, Sonam Monkhar, Carlo Sommaruga et Adrien-Claude Zoller. La SAST développe depuis 1983 ses actions d’information, politiques et culturelles, en lien étroit avec le Groupe parlementaire pour le Tibet, dont la trentaine de membres déploient une intense activité. En réaffirmant la solidarité entre la Suisse et le Tibet, la SAST souligne la nécessité d’une attitude ferme de notre pays face aux dictatures quelles qu’elles soient. En ce sens, le combat non violent du peuple tibétain est emblématique du combat de tous les peuples opprimés du monde.

Ve. 27 septembre à 20h, à l’Université ouvrière de Genève (UOG), 3, pl. des Grottes, amphi. Berenstein.

Notes[+]

Coresponsable de la section romande de la Société d’amitié Suisse-tibétaine.

Opinions Contrechamp René Longet Solidarité

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