La Gauche met le feu à Berlin
«La Gauche met le feu à Berlin», titrait le quotidien conservateur Berliner Morgenpost au matin du 25 août, rapidement suivi par les autres feuilles de la ville. La cause? Une esquisse de projet de loi de la sénatrice Katrin Lompscher (Die Linke, La Gauche), responsable de la planification urbaine pour Berlin, qui prévoit un plafonnement strict des loyers et qui s’est retrouvée entre les mains de la presse. Face à l’augmentation drastique des loyers – les prix ont doublé sur les dix dernières années – dans l’ensemble de la ville, les débats ont pris un tournant radical ces derniers mois.
Les propositions de Katrin Lompscher constituent en première ligne un plafonnement des loyers. Le prix du mètre carré est limité de 3,42 € à 7,97 € en dix-sept seuils, en fonction de l’année de construction du bâtiment et de son équipement. Pour comparaison, le prix au mètre carré d’un appartement de 60 m2 était de 6,17 € en 2011, contre 10,99 € en 2018. La sénatrice suggère ainsi de revenir à un niveau des prix précédant l’explosion de ces dernières années – et non à l’instauration d’un régime fantaisiste. Notons que les bâtiments construits dès 2014 ne seraient pas concernés par ces mesures.
L’esquisse – un document de travail destiné aux partenaires de coalition – contient également une réflexion sur la modernisation des appartements. Les travaux de modernisation, s’ils peuvent permettre de grandes économies d’énergie lorsqu’ils concernent les fenêtres par exemple, font l’objet de critiques répétées: les régies et propriétaires s’en servent souvent pour justifier d’importantes hausses de loyer, même après des travaux cosmétiques ou des rénovations superflues. En conséquence, les propositions prévoient que les travaux de modernisation ne peuvent – sauf exception – justifier que jusqu’à 20% d’augmentation de loyer, ainsi qu’une augmentation forfaitaire de 27 centimes au mètre carré en cas de rénovation de fenêtres ou de 57 centimes à la suite d’amélioration de l’isolation thermique.
Katrin Lompscher s’inscrit ainsi dans un débat en pleine ébullition. Le 14 juin, le comité d’initiative «Deutsche Wohnen & co enteignen» (exproprier la Deutsche Wohnen1>La Deutsche Wohnen est l’une des principales sociétés immobilières allemandes, leader sur le marché berlinois, ndlr. Lire S. Yersin, agora, «L’expropriation comme solution à la spéculation?», Le Courrier du 23 avril 2019. & co) déposait 77 001 signatures pour son projet de votation, lequel prévoit notamment le rachat forcé d’immeubles et appartements des régies immobilières de grande taille afin de lutter contre la spéculation. Dans ce qui semble être une tentative de couper l’herbe sous les pieds de ce mouvement, le Sénat (exécutif régional) a voté une première mesure radicale le 18 juin: les loyers de 1,5 million d’appartements seront gelés pour une durée de cinq ans. La loi est censée entrer en vigueur en janvier, avec effet rétroactif au 18 juin.
Le Sénat de Berlin, à majorité «rouge-rouge-vert» (Parti social-démocratique SPD, Gauche et Verts), cherche activement des solutions à la crise des logements. Ses efforts, qui détonnent dans le paysage allemand, se concentrent sur une limitation de la liberté du marché. Cependant, ce type de mesure pourrait s’avérer inefficace sur le long terme: au-delà du contrôle administratif des prix, c’est également une politique de développement du parc immobilier dont la ville a besoin. Avec une croissance de 10% de sa population sur dix ans (+ 300 000 habitants), la ville est face à un défi démographique d’importance.
Pour intervenir efficacement et durablement sur le marché de l’immobilier, plusieurs observateurs ont suggéré que la ville entreprenne la construction de logements sociaux. La politique d’austérité, portée notamment par le SPD, ne permet cependant pas d’investissement de cette ampleur. Berlin entreprend, depuis 2011, de réduire sa dette (passée de 63 à 57 milliards d’euros sur la période), alors que l’Allemagne enregistre des excédents budgétaires records ces dernières années. Peut-être est-il temps pour le SPD de changer de cap – et, au-delà du contrôle administratif, de permettre aux autorités à devenir pleinement un acteur du marché immobilier.
Notes
L’auteur est un historien romand établi à Berlin.