Agora

Un coup de plus porté au peuple palestinien

Bernard Borel réagit à la décision de suspension du financement de l’Agence onusienne pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) prise par la Suisse, qui a suivi la révélation d’un rapport1 interne à l’agence décrivant des abus éthiques commis par des hauts dirigeants de l’UNRWA.
Diplomatie

Il faut rappeler que le chef du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), Ignazio Cassis, avait déjà dans le collimateur l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens en mai 2018, lorsque, à son retour d’un déplacement en Jordanie, il avait déclaré: «L’aide de l’UNRWA constitue plus un obstacle qu’une solution à la paix au Proche-Orient. En particulier, les camps établis depuis des années en Jordanie et au Liban empêchent l’intégration». Comme si les Palestiniens s’y complaisaient… Il faut n’avoir jamais visité un de ces camps pour croire que l’on n’a pas envie d’en sortir.

A la suite des critiques émises par M. Cassis, des représentants de haut rang de l’ONU, en particulier ceux des pays directement concernés – Liban et Jordanie – étaient intervenus pour se plaindre officiellement auprès de la mission suisse aux Nations Unies à New York et certains parlementaires suisses avaient relevé que cela avait «nui à la réputation de la Suisse» et compromis la candidature helvétique au Conseil de sécurité de l’ONU, prévue en 2022. Rappelons par ailleurs que le Haut Commissaire de l’UNRWA est Suisse et un fin connaisseur du Proche-Orient.

Un rapport interne du siège central de l’ONU sur l’UNRWA1>Lire «Berne suspend toute aide additionnelle», ATS, Le Courrier du 31 juillet 2019. a filtré dans la presse fin juillet: il fait état de mauvaise gestion et d’abus d’autorité et met également en cause son Haut Commissaire, le Suisse Pierre Krähenbühl. Certes, les accusations sont graves et méritent, le cas échéant, d’être sanctionnées: c’est à l’ONU de faire le «ménage» interne dans l’une de ses agences.

C’est néanmoins la raison invoquée par le conseiller fédéral Cassis pour suspendre le financement de la Suisse à l’UNRWA. Il semblerait, selon des sources bien informées, que M. Cassis ait pris cette décision seul, sans consulter les spécialistes du Proche-Orient du DFAE. Cela tombe au plus mal pour cette agence onusienne qui fait face à une crise financière sans précédent. En effet, début 2018, Donald Trump a suspendu l’aide étasunienne qui s’élevait à 300 millions de dollars annuels et représentait jusqu’alors la contribution la plus importante à l’UNRWA, dans sa politique clairement alignée sur l’Israël de Benyamin Netanyahou.

Après la décision de M. Cassis, l’UNRWA a déclaré, via un communiqué de presse, savoir qu’un audit interne était en cours et être probablement «l’une des agences onusiennes les plus surveillées en raison de la nature du conflit (israélo-palestinien) et l’environnement complexe et politisé dans lequel elle travaille. Elle s’est dite «prête à entendre les critiques et à prendre les mesures pour les amender». L’UNRWA a rappelé également qu’elle avait dû faire face, au cours des dix-huit derniers mois, «à une pression financière et politique intense, mais l’ensemble du personnel a maintenu le cap, aidant 5,4 millions de réfugiés palestiniens». L’agence se démène depuis dix-huit mois pour compenser la perte de financement des Etats-Unis et a trouvé d’autres bailleurs, mais plutôt dans le monde arabe.

Est-ce cela la manière de M. Cassis de concevoir comment « la Suisse doit jouer avec confiance son rôle sur la scène internationale», comme il l’a affirmé, lors de son passage à l’alpage du Pâquier à L’Etivaz (VD) pour la fête du 1er août? La décision de la Suisse a envoyé un signal inquiétant, d’autant qu’elle intervenait quelques jours avant la séance où l’Assemblée des Nations Unies devait ratifier la prolongation de la mission de l’UNRWA (ce qu’elle a, malgré tout, approuvé).

Les dysfonctionnements au sein de l’UNRWA justifient-ils que l’on mette en péril le soutien au peuple palestinien? Près de la moitié des Palestiniens du Proche-Orient sont des réfugiés, y compris sur leur propre terre, et dépendent de cette aide. Plusieurs ONG, dont l’EPER, Terre des Hommes et Caritas, ont annoncé leur départ de Palestine faute de financement, ce qui fragilise encore la situation de ce peuple, notamment dans le domaine de la santé.

Ou bien s’agit-il d’un alignement de notre politique étrangère sur celle des Etats-Unis, faisant suite à la visite du président de la Confédération à Washington? Cette décision est préoccupante et met à mal la politique de neutralité active de la Suisse. Pourtant la nouvelle, surgie en plein été au moment de la Fête des vignerons et du Paléo Festival, est passée presque inaperçue! A suivre donc.

Notes[+]

L’auteur est membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.

Opinions Agora Bernard Borel Diplomatie

Connexion