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Le président et les pyromanes

A l’instar d’une quinzaine d’autres pays de l’Union européenne, la France d’Emmanuel Macron a reconnu Juan Guaidó comme le nouveau président par intérim du Venezuela. Ce faisant, relève Serge Halimi, «Paris s’est mis une nouvelle fois à la remorque de la Maison Blanche et a donné son aval à une tentative de coup d’Etat».
Diplomatie

«Le pire n’est point arrivé tant qu’on peut dire: ‘Ceci est le pire.’» Ces jours-ci, la diplomatie française fait penser à ce vers du Roi Lear. A l’issue du quinquennat de M. François Hollande, on croyait avoir atteint le fond1>Lire D. de Villepin, «La France gesticule… mais ne dit rien», Le Monde diplomatique, décembre 2014, bit.ly/2CbjjjO; quelques-uns prédisaient même un sursaut d’orgueil. Après tout, dès lors que les Etats-Unis affichaient leur souverain mépris envers les capitales européennes et leur désir de se dégager des obligations du traité de l’Alliance atlantique, pourquoi ne pas en profiter pour quitter l’OTAN2>Lire G. Robin, «Un donjon d’un autre âge», Le Monde diplomatique, mars 2019, bit.ly/2J8UomT, renoncer à la politique de sanctions contre Moscou et imaginer la coopération européenne «de l’Atlantique à l’Oural» dont rêvait le général Charles de Gaulle il y a soixante ans? Enfin libre de la tutelle américaine – et adulte!

En entérinant l’autoproclamation de M. Juan Guaidó comme chef de l’Etat vénézuélien par intérim au prétexte d’une vacance de la présidence qui n’existe que dans son imagination, Paris s’est au contraire mis une nouvelle fois à la remorque de la Maison Blanche et a donné son aval à une tentative de coup d’Etat. La situation au Venezuela est dramatique: inflation galopante, sous-alimentation, prévarication, sanctions, violences3>Lire R. Lambert, «Venezuela, les raisons du chaos», bit.ly/2y23hbU et T. Porras Ponceleón, «Pour sortir de l’impasse au Venezuela», bit.ly/2Uw5QKs, Le Monde diplomatique, respectivement décembre 2016 et novembre 2018. Lire également le dossier du Courrier sur la crise vénézuélienne: https://lecourrier.ch/dossier/crise-au-venezuela/. Elle l’est aussi parce qu’une solution politique se heurte désormais au sentiment que quiconque se dresse contre le pouvoir, ou perd le pouvoir, risque d’échouer derrière des barreaux. Comment les dirigeants vénézuéliens n’auraient-ils pas à l’esprit le cas de l’ancien président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, interdit de candidature à une élection présidentielle qu’il aurait probablement remportée et condamné à vingt-cinq ans de prison?

La décision de la France enfreint la règle qui voulait que Paris reconnaisse des Etats, pas des régimes. Elle conduit également M. Emmanuel Macron à encourager la politique incendiaire des Etats-Unis, qui, derrière le Venezuela, vise aussi Cuba et le Nicaragua. Car la proclamation de M. Guaidó a été inspirée par les pyromanes les plus dangereux de l’administration Trump, tels MM. John Bolton et Elliott Abrams4>Lire E. Alterman, «Le retour du ‘secrétaire d’Etat aux sales guerres’», Le Monde diplomatique, mars 2019, bit.ly/2u3kihs. Nul n’ignore au demeurant que le vice-président américain, Michael Pence, a informé M. Guaidó que les Etats-Unis le reconnaîtraient… la veille du jour où il s’est proclamé chef de l’Etat5>Cf. J. Donati, V. Salama et I. Talley, «Trump sees Maduro move as first shot in wider battle», The Wall Street Journal, New York, 30 janvier 2019, on.wsj.com/2WxyvjK.

Le 24 janvier dernier, M. Macron a exigé «la restauration de la démocratie au Venezuela». Quatre jours plus tard, il arrivait l’âme légère au Caire, bien décidé à vendre quelques armes supplémentaires au président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, auteur d’un coup d’Etat rapidement suivi par l’incarcération de 60 000 opposants politiques et par la condamnation à mort de son prédécesseur librement élu. En matière de politique étrangère qui se prétend vertueuse, le pire est-il encore à venir?

Notes[+]

Cet article est paru dans Le Monde diplomatique, mars 2019.

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