Chroniques

La Vague

A rebrousse-poil

En cet été 2019, combien de fois a-t-on appris que des bateaux humanitaires se voyaient refuser l’entrée dans les ports européens de Méditerranée? Surchargés, ayant récupéré à leur bord des migrants qui ont fui la Libye dans de fragiles canots, ils attendent des jours avant que, sous la pression de l’opinion publique, un gouvernement leur accorde du bout des lèvres le droit d’accoster. Ou avant qu’une capitaine courageuse ose défier les lois: le 26 juin, Carola Rackete, capitaine du Sea-Watch, débarquait 42 malheureux à Lampedusa, malgré l’interdiction des autorités. Respect.

En première ligne vu sa proximité avec les côtes libyennes, l’Italie est régulièrement montrée du doigt: il est honteux, pour un pays «civilisé», de refuser de porter secours à des humains en péril.

Bien sûr.

Mais la honte éclabousse également tous les pays dont Rome attend – à juste titre – la solidarité. Que je sache, notre Conseil fédéral ne s’est pas annoncé pour accueillir sa part de ces réfugiés.

Il y a peu, l’indignation m’a poussé à écrire une chanson. Voici les paroles:

C’est une longue vague ample lente profonde
Qui vient battre nos côtes et meurt sur les galets
Elle arrive de loin entendez-la qui gronde
Quelle force pourrait arrêter la marée?
Entassés sur le pont étouffant dans les cales
De vieux rafiots rouillés qu’un rien fera sombrer
C’est une foule immense d’humains tremblants et pâles
Qui s’offrent à la mort pour tenter d’exister
Ils s’appellent Ibrahim Rachid Macodou
Elles c’est Djamila la belle ou Fatima,
Elles ont contre leur sein des enfants aux yeux doux
Des enfants juste nés qui ne comprennent pas
Eux bras dressés supplient le ciel noir et cruel
Leur bouche n’est qu’un cri où résonne l’effroi
La houle les secoue les gouffres les appellent
Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas
Nous ne pourrons pas dire que nous n’avons pas vu
Les villages rasés et les vieilles en larmes
Les yeux hallucinés les haillons les pieds nus
Avec dans le lointain le grondement des armes
Voilà ce qu’ils ont fui par dunes et pierrailles
Pour d’autres c’est la faim qu’en savons-nous ici?
La faim sorcière noire où faut-il donc qu’ils aillent?
Ce n’est pas cœur léger qu’on engage sa vie
Et nous voyant venir cette pure souffrance
Nous laissons aboyer les bâtisseurs de haine
Les bâtisseurs de murs aux vieilles idées rances
Qui sentent la charogne et les brumes anciennes
Et nous baissons les yeux cœurs et portes fermés
Que dira-t-on de nous dans cent ans dans vingt ans?
Eux suivent leur chimère acharnés harassés
Et la nuit descend sur un monde indifférent.

Nouveau livre chez Bernard Campiche Editeur: L’autre Chemin, chroniques 2008 – 2018.

Opinions Chroniques Michel Bühler

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lundi 8 janvier 2018

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