La droite traditionnelle entre écologie et droite radicale
Les élections régionales à venir dans trois Länder de l’ex-Allemagne de l’Est mettent la droite traditionnelle sous pression. Après des élections européennes catastrophiques, les deux partis sœurs de l’Union chrétienne cherchent à redéfinir leur message pour convaincre les électeurs-trices perdu-e-s. Quitter le sujet de la politique migratoire s’avère cependant difficile et clivant.
Les élections européennes ont été une défaite cuisante pour les partis de la grande coalition (CDU/CSU et SPD) par rapport à 2014. Le parti écologiste Die Grünen est ainsi devenu la deuxième faction allemande à Bruxelles, et le parti de la droite radicale Alternative für Deutschland (AfD) la quatrième. Toutefois, en parvenant à placer l’ancienne ministre de la Défense Ursula von der Leyen (CDU) à la tête de la Commission européenne (malgré son bilan désastreux), et en donnant ce ministère à l’actuelle présidente de la CDU (et potentielle future chancelière) Annegret Kramp-Karrenbauer, l’Union chrétienne est parvenue à intégrer ces mauvais résultats dans une stratégie de consolidation institutionnelle réussie.
Les élections parlementaires de ces prochains mois dans trois Länder de l’est (la Saxe, le Brandebourg et la Thuringe) semblent cependant augurer une nouvelle défaite. Les regards sont tournés en particulier sur la Saxe, où l’AfD est donnée à 26% – soit 16 points de plus qu’en 2014. Si ce résultat devait être atteint, deux scénarios s’imposeraient: soit les partis restant se décident pour une coalition très vaste et plurielle, mais instable et problématique; soit la CDU choisit de conclure la première alliance avec la droite radicale. Le choix de l’une ou l’autre option sera déterminant pour les alliances politiques des années à venir.
Dans l’espoir de récupérer les électeurs-trices de Die Grünen, la CDU redéfinit son message vis-à-vis de l’écologie. Après la déclaration d’Ursula von der Leyen devant le parlement européen («la neutralité climatique [comprendre: carbone] doit être atteinte en 2050»), c’est au tour d’Annegret Kramp-Karrenbauer d’affirmer que «nous devons appliquer l’Accord de Paris de manière conséquente». Même le très conservateur ministre de l’Intérieur Horst Seehofer (CSU), plus habitué aux déclarations populistes sur la politique migratoire, promet d’engager ses ressources pour améliorer le bilan écologique de l’Allemagne, notamment en subventionnant les travaux de modernisation des bâtiments.
La conquête de l’électorat écologiste s’avère cependant délicate. En effet, le militantisme écologique, qui a donné lieu à de violents affrontements avec la police autour de la mine de charbon de la forêt de Ham-bach en 2018, et les manifestations de Friday For Future ont fait l’objet d’attaques répétées de la droite traditionnelle. Journaux et politicien-ne-s conservateurs ont ainsi déployé des trésors de rhétorique pour dépeindre ces militant-e-s comme une jeunesse naïve et irresponsable. La récupération de leur message ne se fait donc pas aisément, d’autant plus que Die Grünen est désormais une force politique crédible et à l’électorat large.
L’aile la plus conservatrice de la droite traditionnelle est, de plus, peu encline à abandonner la thématique de la politique migratoire. Plusieurs de ses membres ont en effet basé leur carrière sur le sujet, comme l’ancien président de l’Office fédéral pour la protection de la constitution Hans Georg Maaßen. Pour ce dernier, invité d’honneur d’un meeting électoral CDU en Saxe, toute collaboration avec Die Grünen doit être rejetée de principe; en revanche, il estime qu’une alliance avec l’AfD pourrait être envisageable.
Il est fondamental que l’Union chrétienne, aux commandes de l’agenda politique depuis plus d’une décennie, se souvienne de sa responsabilité vis-à-vis de l’ensemble du pays et des valeurs allemandes dans le choix de ses partenaires de gouvernement. Les cadres du parti, à tous niveaux, doivent s’exprimer clairement pour le rejet de toute forme d’alliance avec la droite radicale. Plus l’AfD intègre l’appareil étatique et plus il sera difficile de l’en déloger.
L’auteur est un historien romand établi à Berlin