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Tango de la verdure

L’IMPOLIGRAPHE

Le réchauffement climatique a réchauffé la portion du monde politique qui était, jusqu’aux manifs de ces derniers mois, totalement hermétique à l’exigence d’y répondre… L’assemblée des délégués du PLR a adopté un programme environnemental qui fait semblant de rompre avec toutes les positions prises par le parti depuis des décennies. Et si à l’Assemblée des délégués de l’UDC, on avait entendu les conseillers nationaux Addor et Aeschi affirmer que c’était l’immigration qui était responsable du réchauffement climatique, le président UDC de la Confédération, Ueli Maurer, à la veille du 1er août, a reconnu que le réchauffement climatique était l’«un des plus grands problèmes pour l’avenir» – et pas seulement l’avenir politique de l’UDC…

Quant à notre bonne Ville de Genève, non seulement le Conseil municipal a voté une motion décrétant l’«urgence climatique», mais en plus, le Conseil administratif a présenté un «plan stratégique de végétalisation en ville»… La Ville veut se verdir? Elle a bien raison. C’est bon pour tout, à commencer par l’état de santé des habitants. Parce que figurez-vous, bonnes gens, que la pollution, c’est pas bon pour la santé. Et que les végétaux permettent de fixer le CO2, de filtrer les particules nocives, de minimiser les effets de l’imperméabilisation des sols et d’éviter les îlots de chaleur. Et que, dès lors, planter des arbres, en fleurir les pieds, transformer des surfaces bétonnées en surfaces végétales, installer des toitures végétalisées, entretenir les espaces verts sans produits chimiques, tout cela relève d’une sorte d’évidence. Mais qui se heurte à quelques obstacles: par exemple, l’obligation légale, si on supprime des places de parc pour y mettre par exemple des arbres (et il faut en supprimer deux pour pouvoir mettre un grand arbre à leur place), d’en recréer ailleurs. Une obligation imbécile, directement héritée du siècle dernier, et qui n’a aucun sens dans une ville où la moitié des ménages n’a plus de bagnole.

Et puis, il y a l’incohérence de la Ville elle-même. «Pendant trop longtemps, la végétalisation a été le parent pauvre de l’urbanisme. Y compris à Genève», reconnaît le conseiller administratif Guillaume Barazzone. Le «trop longtemps», ça dure combien de temps quand aujourd’hui encore on prône une politique consistant à planter des arbres, à engazonner les surfaces goudronnées et à végétaliser les toits d’une main et, de l’autre, à minéraliser des espaces publics, à continuer à imperméabiliser le sol urbain et à remplacer le gazon naturel, végétal, des stades par du gazon synthétique? Végétaliser les toits et dévégétaliser les stades. C’est bien de planter de la verdure. Il faut planter de la verdure. Mais ça serait tout aussi bien aussi de ne pas remplacer celle qu’on a déjà par du plastique.

«En 2050, notre ville aura un climat comparable à celui de l’Afrique du Nord» (ou d’Abou Dhabi?), a averti Guillaume Barazzone, qui s’interroge gravement, dans la présentation du «plan stratégique de végétalisation» de la Ville de Genève: «Quelle cité va-t-on laisser à nos enfants et nos petits-enfants?» Ben, on leur laissera forcément la Ville qu’on aura décidé de leur laisser. C’est même une définition possible de toutes les décisions politiques: elles prennent effet dans l’avenir. Les conneries qu’on a faites, collectivement, dans le passé, nous surchauffent le cuir aujourd’hui, et celles qu’on fait aujourd’hui, en refusant de prendre les décisions qui s’imposent face au dérèglement climatique, ce sont les enfants et les petits-enfants d’aujourd’hui qui en feront les frais. Vu que de toute façon, en 2050, une bonne partie des décideurs politiques ne seront vraisemblablement plus de ce monde (l’auteur de ces lignes non plus d’ailleurs): après nous, le déluge? Des milliardaires prévoient déjà de se construire une arche pour aller sur Mars (qu’ils y aillent donc, le climat y est encore pire que le pire de ceux qu’on pourrait produire en continuant de saloper celui de la Terre).

Donc, on traîne les pieds pour répondre à la surchauffe climatique. Les humains ont atteint le 29 juillet dernier le «jour du dépassement», celui où ils ont consommé toutes les ressources produites en un an par leur planète (toute l’humanité vit donc à crédit jusqu’à la fin de l’année – mais c’est un crédit qui ne sera jamais remboursé). Les Suisses les ont devancés de presque trois mois (faudrait pas croire que la Suisse est toujours en retard): nous, notre «jour du dépassement», c’était déjà le 9 mai. Ça fait donc déjà trois mois qu’on consomme les ressources qu’on n’a pas encore. Comme disait une banderole dans la Cité des 300 logements, à Bejaïa: «On ne peut pas rattraper le temps perdu, mais on peut arrêter de perdre du temps». Bon, d’accord, la banderole parlait du temps perdu par l’Algérie pour tenir les promesses de sa lutte pour l’indépendance (une indépendance qui ne soit pas seulement celle de l’Etat, mais d’abord celle du peuple), mais elle dit bien aussi ce qui s’impose dans la réponse à donner, concrètement, sur le terrain (celui des places de parking et des stades, par exemple) pour pallier aux effets du dérèglement climatique, non?

Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

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lundi 8 janvier 2018

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