Édito

Ne pas s’habituer à l’inacceptable

Ne pas s’habituer à l’inacceptable 
Un homme tente de secourir une fillette après les bombardements qui ont frappé la ville de Ariha située dans la province d'Idlib, le 28 juillet 2019. Keystone
Syrie

A Idlib, la trêve n’a duré que quatre jours. Lundi, alors que les négociateurs étaient encore réunis à Astana (Nur-Sultan), les bombardements de l’armée syrienne et de son allié russe reprenaient. Depuis avril, ils ont entraîné la mort de 700 civils et l’exil de quelque 400 000 personnes. La semaine dernière, Médecins sans frontières (MSF) avait tiré la sonnette d’alarme, une énième fois. Un de ses hôpitaux a été touché. Les soins sont désormais compromis: «Le simple survol de l’hôpital par des avions terrifie au point que plusieurs membres d’équipe en arrivent à quitter le bâtiment de peur qu’il ne soit touché.»

Devant le refus des djihadistes de Hayat Tahrir al-Cham (HTS, ex-al-Qaïda) d’évacuer la zone tampon entre belligérants définie l’an dernier par le processus d’Astana, les troupes fidèles à Damas harcèlent sans repos le puissant groupe armé – on parle de 50 000 hommes – qui contrôle cette zone au sud-ouest d’Alep. Or, tout indique que les populations civiles sont aussi délibérément prises pour cible. Outre des centres de santé, des écoles et des mosquées sont visées. Des barils de TNT largués d’hélicoptère tuent sans distinction. Selon certains experts, Bachar al-Assad chercherait à faire fuir les habitants afin de pouvoir lancer une offensive terrestre destinée à reprendre la région passée en janvier sous le contrôle total d’HTS. Plus sûrement, Damas mène là une guerre d’usure, contre les islamistes et leurs soutiens locaux et internationaux, comme la Turquie, qui craint l’arrivée de nouveaux réfugiés. En cela, l’issue des discussions d’Astana permettra de mieux jauger l’avenir de cette poche djihadiste entre Turquie et territoire contrôlé par Damas.

Quoi qu’il en soit, ces frappes constituent de nouveaux et abominables crimes de guerre. Et que l’avenir des habitants pris au piège dépende davantage des marchandages entre Russes et Turcs que des instances internationales censées les protéger en dit long sur l’échec de la communauté internationale à réaliser son ambition de «civiliser la guerre». Ou ne serait-ce même qu’à revendiquer l’application des Conventions de Genève dont elle s’était dotée il y a septante ans et à menacer les auteurs de violation de les traduire devant la Cour pénale.

Le conflit syrien, même s’il n’est pas le seul, nous y a tragiquement habitués. Hama, Alep – plus de 20 000 civils tués en trois ans – Mossoul, Idlib, les martyrs des villes d’Irak et de Syrie, quel que soit leur assaillant, se suivent et se ressemblent. Les crimes de la coalition internationale, notamment à Raqqa en 2017, où les frappes menées entre autres par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France ont conduit à la mort d’au moins 1600 civils, montrent que cette manière de faire la guerre est non seulement tolérée mais partagée par les Etats occidentaux.

Face à cette abjection, la léthargie de la société civile internationale crée un malaise. La torpeur peut certes s’expliquer par l’absence de réponses concrètes et satisfaisantes à disposition, ainsi que par une certaine tolérance – discutable – quant à la manière dont on mène la guerre contre des groupes terroristes. Les informations fiables font aussi cruellement défaut. Pourtant un réveil s’impose. Devant la faillite de l’ONU et la complicité des Etats, seule la société civile peut remettre l’exigence du droit et de la justice à l’agenda. Ne serait-ce que pour sauvegarder un peu de notre humanité.

International Opinions Édito Christophe Koessler Benito Perez Syrie

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