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Le phénomène Mont-Blanc

Longtemps ignoré, le Mont-Blanc attire aujourd’hui 100 000 personnes par jour à Chamonix. Internationale dès l’origine, son histoire se confond avec celle de la conquête des Alpes.
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L’été, un flot continu de touristes ­arpente les rues piétonnes, où les nombreuses boutiques de sport alternent avec les ­restaurants et les bars, ­destinés à contenter tous les styles de clientèle. ASM
Série d'été

«Le Mont Blanc, la vallée de Chamonix, la mer de Glace et toutes les merveilles de ce merveilleux endroit sont au-dessus et au-delà des espoirs les plus insensés. Je ne puis rien imaginer dans la nature de plus stupéfiant et de plus sublime», écrivait Charles Dickens, en 1846.

Série d’été (III): le tour du Mont-blanc

Créé dans les années cinquante, le Tour du Mont-Blanc connaît un boom exceptionnel depuis quelques années. Il génère des retombées importantes, notamment pour les stations situées sur le tronçon suisse. Mais pourquoi le monde entier est-il si fou de cette montagne?

Pourquoi cette montagne fascine-t-elle à ce point, parmi tant d’autres sommets de l’arc alpin? Parce qu’elle est le toit de l’Europe et, de ce fait, elle incite au défi. Parce qu’on la repère à des kilomètres à la ronde, de Genève et de Courmayeur, de Grenoble et des hauteurs de Lyon. Quand les neiges fondent de tous côtés, elle se démarque toujours par sa stature massive et sa blancheur éclatante. Enfin, parce que c’est à Chamonix que tout a commencé. Comme dans tous les lieux de mémoire, il s’y mêle une part de légende. Mais l’histoire de l’alpinisme a bel et bien pris naissance sur les pentes du Mont-Blanc.

Une longue approche

Au début, c’est une poignée d’Anglais, ainsi qu’un Genevois, qui tirent cette montagne de l’anonymat. Nous sommes au XVIIIe siècle et les montagnes commencent à devenir un objet de curiosité et d’exploration scientifique. C’est dans ce but que le Genevois Horace-Bénédicte de Saussure se rend au pied du massif, en 1760. Il est captivé par ce sommet, qu’il aperçoit depuis sa résidence de Genthod. «Je brûlais du désir de voir de près les hautes Alpes», raconte le savant. Il se rend seul et à pied «visiter les glaciers de Chamouni, peu fréquentés alors, et dont l’accès passait même pour difficile et dangereux», relate-t-il dans son Voyage dans les Alpes.

La nouvelle de l’exploit se répand rapidement et attire aussitôt une foule de nouveaux «ascensionnistes»

De Saussure réalise son rêve en parvenant au sommet du Mont-Blanc vingt-sept ans plus tard, en 1787. La première ascension s’est faite sans lui, une année auparavant, mais il y a fortement contribué. En promettant de récompenser le premier vainqueur du Mont-Blanc, il a en effet créé une grosse émulation dans la vallée. Après de multiples tentatives, le Mont-Blanc est enfin vaincu par un notable du cru, Michel-Gabriel Paccard, et son guide, le paysan et cristallier Jacques Balmat. Preuve que l’événement est d’importance, le médecin va aussitôt faire consigner cette aventure par des témoins devant notaire. Dans leur déposition, ces derniers attestent avoir vu nos deux héros atteindre le sommet «sur les 6h23 du soir». Ils les ont observés «à la lunette d’approche» et suivi leur progression en compagnie d’autres habitants de la vallée.

L’exploit fondateur

On considère que ce moment, le 8 août 1786, marque la date de naissance de l’alpinisme, car une fois cette forteresse tombée, cela en incite plus d’un à conquérir toutes les cimes environnantes. La nouvelle de l’exploit se répand rapidement et attire aussitôt une foule de nouveaux «ascensionnistes». Parmi eux, de nombreux Anglais qui racontent volontiers leurs prouesses et continuent de populariser le toit de l’Europe. L’un d’eux, Albert Smith, crée même un spectacle à succès où il relate son aventure. Il le fait jouer à Londres, y compris devant la cour royale, et il en tire toute une série de produits dérivés.

De bourgade obscure, Chamonix devient un modèle de réussite économique, pionnier du tourisme alpin. Dans ses écrits, le savant genevois témoigne de la rapide transformation de Chamonix: «Depuis lors ce voyage est devenu par gradation si fort à la mode, que les trois grandes et bonnes auberges qui y ont été successivement établies suffisent à peine à contenir les étrangers qui y viennent en été de tous les pays du monde.» L’affluence n’a certainement pas régressé depuis lors. L’été, c’est un flot continu de touristes qui arpente les rues piétonnes, où les nombreuses boutiques de sport alternent avec les restaurants et les bars destinés à contenter tous les styles de clientèle.

La rançon du succès

«L’avenue de la gare, les abords du Montenvers ou du téléphérique font songer à la rue de la grotte à Lourdes, à la montée du Mont-St-Michel. Ici c’est le pèlerinage aux cimes!», s’émeut l’écrivain et alpiniste Roger Frison-Roche dans Le Mont-Blanc aux sept vallées, publié en 1959. On peut le regretter, mais Chamonix réalise ce qui demeure un rêve encore lointain pour de nombreuses destinations alpines: faire vivre leurs établissements au moins dix mois sur douze.

En France, Chamonix-Mont-Blanc est la première destination de montagne, été comme hiver, et elle se classe juste derrière Paris en termes d’emplois touristiques, selon l’Observatoire touristique de Savoie Mont-Blanc. Dans les cuisines, les bars et les boutiques de la ville s’activent de nombreux Français venus d’autres régions: «attirés par l’opportunité de travailler sur un rythme moins saisonnier que sur la Côte», affirment plus d’un.

Néanmoins la surcharge guette et l’image de la destination finit par en souffrir. Certaines attractions, comme celle du téléphérique de l’Aiguille du Midi, peuvent se retrouver débordées certains jours. Les visiteurs s’en retournent alors frustrés et mécontents. Le toit de l’Europe est convoité par de trop nombreux amateurs, parfois mal préparés, qui créent des embouteillages et des situations dangereuses, dont les actualités se font régulièrement l’écho.

Modérer les flux?

Avec beaucoup de réticence, les autorités de Chamonix et de Saint-Gervais songent désormais sérieusement à en limiter l’accès. De plus en plus de voix s’élèvent en outre dans la vallée pour réclamer des flux plus modérés, sur les routes comme dans l’espace aérien. Face au changement climatique, beaucoup s’inquiètent de voir les glaciers sensiblement reculer. Que deviendrait le Mont-Blanc, sans le manteau immaculé qui le signale loin à la ronde et sans les fameuses «glacières» qui ont attiré les premiers touristes à Chamonix?

Initiée au début des années 2000 par le collectif ProMont-Blanc, la démarche auprès de l’UNESCO, en vue d’inscrire la destination au patrimoine mondial, était restée lettre morte. Mais quelques années plus tard, en 2017, le Conseil municipal de Chamonix l’a approuvée à l’unanimité. Les autorités semblent de plus en plus enclines à penser que la reconnaissance internationale est la voie la plus plausible pour sortir la destination de cette ornière. L’intérêt de la démarche, selon le maire de Chamonix, Eric Fournier, sera d’obliger la région de se doter d’un plan de gestion et de protection internationale rigoureux. Affaire à suivre.

 

Régions Anne-Sylvie Mariéthoz Série d'été

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Série d'été: le tour du Mont-blanc

dimanche 28 juillet 2019
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