Face à la terreur de la droite radicale
Après le premier assassinat politique depuis 1945, les autorités responsables de la lutte antiterroriste font l’objet de critiques renouvelées. Les cercles conservateurs ont jusque-là minimisé le problème venant de la droite radicale. Ils doivent aujourd’hui reconnaître le danger que ces réseaux font peser sur l’ensemble de la société allemande, et intervenir.
L’affaire a tous les ingrédients d’un récit policier. A minuit le 2 juin, le haut fonctionnaire conservateur Walter Lübcke (CDU, Hesse) est assassiné devant sa maison. Une véritable exécution. Deux voitures quittent la scène en crissant des pneus. Dans les jours qui suivent, un suspect est arrêté sur la base de traces ADN retrouvées sur les vêtements de Lübcke.
Il s’agit de Stephan E., qui dans le passé était actif dans les réseaux de la droite radicale et les groupes néonazis. Il fait de la prison dans les années 1990 pour diverses actes racistes, comme pour avoir tenté de faire exploser un centre de réfugié•e•s à l’aide d’une bombe artisanale. N’étant plus interpellé à partir de 2004, il disparaît des radars.
Lübcke s’était distingué en 2015 par sa posture en faveur de la politique d’accueil des réfugié•e•s d’alors. S’adressant à la droite radicale, il avait invité «ceux qui rejettent nos valeurs [chrétiennes de l’aide aux nécessiteux] et les conséquences de ces valeurs» à «quitter le pays». Les menaces de mort n’ont pas tardé à arriver, par centaines.
Le travail des autorités est, depuis juin, profondément remis en question. L’Office fédéral pour la protection de la Constitution (Bundesamt für Verfassungsschutz, BfV) est chargé de surveiller les activités contraires à la Constitution depuis sa fondation en 1945. Que Stephan E. n’ait pas fait l’objet d’une surveillance constante ces dernières années soulève de nombreuses critiques, provenant surtout de la gauche.
Le BfV fait depuis longtemps l’objet de critiques répétées. De nombreux scandales (comme l’affaire qui entoure le réseau terroriste néonazi de la NSU durant les années 2000) où les autorités se sont montrées incapables de prendre la mesure de la menace de la droite radicale et néonazie ont forgé une solide opposition au BfV. En 2018, au terme d’un scandale impliquant le ministre de l’Intérieur, Horst Seehofer (CSU), son président a dû quitter son poste pour avoir minimisé les violences de Chemnitz.
Il est notamment reproché au BfV de s’être trop concentré sur la violence venant de la gauche ou des cercles religieux, musulmans en priorité. Le rapport du BfV pour l’année 2018 illustre cette position au mieux: les trois types de violence reçoivent une attention similaire, bien que, selon le rapport, les cas de violence venant de la droite radicale atteignent plus de 20 000 cas, ceux provenant de la gauche radicale plus de 7000 cas et ceux venant des milieux musulmans autour de 400. Le ministre de l’Intérieur, Horst Seehofer, souligne même, en préface au rapport, que si les violences de la gauche radicale sont en forte régression, c’est par «manque d’occasion» – soit par l’absence de grande manifestation comme au G20 de 2017 à Hambourg.
Le BfV – et les autorités compétentes – semble ainsi souffrir de deux biais principaux qui constituent un «point aveugle sur la droite»: d’une part, une fixation exagérée sur les cercles musulmans ainsi que sur la gauche radicale; d’autre part, une propension à considérer la droite radicale comme faite d’acteurs isolés. Une dimension supplémentaire est constamment rappelée par les observateurs: la droite radicale recrute largement au sein de l’armée et, surtout, de la police. Armes, munitions, informations classifiées, savoir-faire et entraînement – la proximité idéologique avec les milieux des forces de l’ordre permet à la droite radicale d’obtenir les ressources dont elle a besoin.
Il est temps que les cercles conservateurs admettent que le pays a un problème à la droite de son spectre politique. Les réseaux de la droite radicale représentent une menace pour l’ensemble de la société – et ils sont bien plus développés que ce que les autorités ont admis jusque-là.
L’auteur est un historien romand établi à Berlin.