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Saison d’enfer, déni du pire

Mario Cifali propose une réflexion sur ce qu’il nomme «la tragédie en cours».
Société

Face au changement climatique et autres calamités, des jeunes et moins jeunes manifestent à Genève et ailleurs. Ils ont raison. Ils contestent la politique des capitaines qui mène à la catastrophe.

Au terme de l’écrit de 1927, Malaise dans la civilisation, Freud soulève une question qui est d’actualité. Laquelle des deux puissances psychiques, de mort ou de vie, finira par triompher? Aujourd’hui, la réponse est de plus en plus inquiétante. Les hommes courent, comme jamais, à leur perte. A croire qu’ils sont pressés d’en finir.

La psychonévrose collective est devenue telle qu’elle fait craindre l’acte de suicide. Les moyens de destruction blessent les corps, les esprits, la nature, au point de condamner l’espoir d’une salvation. On sacrifie un ancien monde à la faveur de la fureur consumériste attelée au «progrès».

La tragédie en cours fait penser à une sorte de solution ultime. A certains égards, elle est dictée par les bas-fonds de notre inconscient, malgré ce qu’ânonnent les optimistes, certains scientifiques et autres individus qui, belles âmes, s’accommodent du plus grave. La tragédie à ce jour, c’est qu’il n’y aura bientôt plus d’humains responsables, mais des guerriers compétiteurs et des machines qui s’entrechoquent. Le salut, si tant est que l’on puisse l’invoquer, c’est de savoir qu’il n’y a pas de salut à cette enseigne.

Poètes, scientifiques, philosophes, psychanalystes, les plus aguerris ont conscience que nier la destruction manifeste est ignorance crasse. Aux plus éveillés, il importe de voir la réalité pour ce qu’elle est, sans occulter la stupidité des suicidaires ou prôner les lendemains qui chantent.

Prenons donc acte du péril climatique et autres menaces désastreuses. Refusons la politique de l’autruche. Comparons-le au remède des révolutions jadis qui toutes, peu ou prou, ont failli. L’échec de notre civilisation est prévisible, vu et considéré le nombre d’entreprises écocides qui n’ont de cesse de détruire la vie planétaire, la nature, les animaux et les hommes.

N’est-il pas vrai? Les capitaines du pire sont cyniquement indifférents face à la déchéance, n’étant tout au plus soucieux que de leur survie. Peu leur chaut le dépérissement du monde, la dépoétisation du vivre, la mécanisation de la chaire, la jouissance du meurtre.

Soyons conscients sans concession. Soyons responsables de nos actes. Des solutions funestes du passé à celles ­futures, il n’y a qu’un pas. A défaut d’un regain de la pulsion de vie et de la sagesse, le pas mortel sera franchi.

Saison d’enfer, temps des assassins, clamerait une fois encore Rimbaud.

Mario Cifali, psychanalyste,

directeur du Séminaire du cercle freudien, Genève.

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