Vaud

«Oli Ola», les horlogères donnent de la voix

Plus de 500 personnes ont appuyé les revendications des employées du secteur horloger dans le bastion historique de la grève des femmes. Reportage.
«Oli Ola», les horlogères donnent de la voix
La cantine sportive du Sentier a été réquisitionnée par Unia. RMR
Grève des femmes

Vendredi matin, il pleut à grosses gouttes sur Le Sentier, mais pas de quoi entamer le moral des femmes de la vallée de Joux. C’est d’ici qu’est partie la grève de 1991 et les ouvrières du secteur horloger, premier employeur de la région, ont bien l’intention de remettre ça dignement. L’horlogerie, ici, emploie 5000 personnes, dont une moitié de femmes. Officiellement, la grève est illicite et passible de sanctions. Ce sera donc un repas collectif aux couleurs d’Unia à l’heure de la pause.

Au local du syndicat, où un groupe de femmes travaille d’arrache-pied depuis plusieurs mois, on s’affaire aux derniers préparatifs. «T’as posté un message sur Facebook?» Vu la météo, les discours auront lieu à la cantine sportive et non devant l’Hôtel de Ville.

Solidarité intergénérationnelle

Elles ne sont encore qu’une poignée, les plus actives, rassemblées autour de Camille Golay, secrétaire syndicale. «Télématin sur France 2 a parlé de la grève!» Luma a fait la veillée devant la cathédrale de Lausanne. «C’était génial, intergénérationnel, avec des anciennes de 1991.» Régleuse retraitée de chez Audemars Piguet, Erika est venue soutenir ses cadettes. Violette du foulard au vernis à ongles, elle s’émerveille du «peps des petites jeunes, notamment les Françaises qui ont du bagout et sont fonceuses». La grève est sur toutes les lèvres, mais en 1991, c’était autre chose: «Les mecs se foutaient de nous, on n’était pas soutenues. Je n’avais pas osé faire la grève, mais j’avais fait le minimum. Et j’ai mis brosse, balais et patte à poussière sur le balcon en signe de soutien.»

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Ancienne régleuse chez Audemars Piguet, retraitée, Erika est venue soutenir ses cadettes. RMR

 

Syndiquée dès 1967, jamais encartée mais très engagée, Erika a «toujours défendu la cause ouvrière». Sa mère immigrée italienne trimait comme manœuvre dans une entreprise du Brassus. «Elle ne s’est pas battue comme moi, mais elle était exploitée, exploitée! Il fallait demander la clé pour aller aux toilettes, elle bossait neuf heures par jour et les samedis matins, avec une semaine de vacances. Heureusement, les choses ont changé.»

«Ici, si on veut vous virer, on vous vire»

En route sous le crachin, les militantes entonnent, «Oli Oli Ola», l’hymne féministe de la grève répété un peu plus tôt dans les fous rires. Une voiture passe, vitre baissée et banderole violette agitée, ses klaxons accueillis par des vivats. A l’arrivée à la cantine, les bancs sont installés, la cuisine ouverte, l’organisation réglée comme une horloge. Les salariées arrivent par groupes et s’attablent avec leur assiette, saucisse et salade de pommes de terre. Thérèse (prénom d’emprunt) travaille à l’administration chez Blancpain. La grève? «On n’oserait même pas la demander.» Elle est Française, comme la plupart des collègues qui partagent sa table. «En France, c’est différent, plus combatif. Et les prud’hommes sont efficaces. Ici, si on veut vous virer, on vous vire.»

Il est 12h15, Camille Golay prend la parole pour rappeler qu’en 1991, Liliane Valceschini, ouvrière syndicaliste mue par sa «colère contre les conditions de travail, et de femme», lançait l’idée d’une grève nationale. «Aujourd’hui, nous sommes plus que jamais en colère!» Une autre militante scande ensuite les revendications: égalité salariale, meilleure intégration de la parentalité, accès à la formation et aux postes de cadre, lutte contre toute forme de harcèlement, «pour en finir avec l’organisation patriarcale du travail».

Dans les faits, une femme sur sept perd son emploi à son retour de maternité, beaucoup sont déclassées. Les crèches et la garantie de retour en emploi font partie du cahier de revendications remis ce 14 juin  à la faîtière patronale de la branche. Exigée aussi, la fin du différentiel salarial de 25% au détriment des femmes, qui les précarise, y compris à la retraite.

Les pionnières, Liliane Valceschini et Christiane Brunner, n’ont pas pu faire le déplacement. Mais dans cette région symbolique, la présidente d’Unia, Vania Alleva, est venue marteler son soutien. «Vous donnez du courage à toutes les femmes! Notre patience est à bout, il faut un coup d’accélérateur et des mesures contraignantes pour les droits des femmes. Avanti donne!» Acclamations, embrassades, la chorale violette reprend joyeusement l’hymne féministe tandis que la salle se vide pour reprendre le travail. Unia prévoit des indemnités de grève pour celles qui débrayeraient, mais elles seront peu nombreuses. Pas grave, la mobilisation a été belle. Cap sur Lausanne et Yverdon pour la suite de cette journée.

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