Genève

Femmes précaires le poing en l’air

Chômeuses, employées de maison et femmes de chambre se sont fait entendre grâce à des actions de protestation menées sur la rive droite. Objectif: sortir de l’ombre.
Brouillon auto 167
Sur la rive droite, du quartier des Grottes à celui des Pâquis, les chômeuses s’allient aux salariées de l’économie domestique, aux migrantes, aux femmes de chambre des hôtels. Beaucoup sont absentes, faute de pouvoir quitter leurs postes, mais la solidarité s’est organisée. JPDS
Grève des femmes

Devant l’Office cantonal de l’emploi (OCE), ce vendredi matin, une trentaine de femmes, chômeuses pour la plupart, brandissent des pancartes et défilent devant les escalators. Elles n’ont pour l’instant pas de travail mais ça ne les empêche pas de faire grève. Leurs revendications, adressées à l’administration cantonale, sont discutées depuis des mois.

Il s’agit de la première étape d’un parcours bien particulier lors de cette journée féministe, celui des femmes et des travailleuses précarisées. Sur la rive droite, du quartier des Grottes à celui des Pâquis, les chômeuses s’allient aux salariées de l’économie domestique, aux migrantes, aux femmes de chambre des hôtels. Beaucoup sont absentes, faute de pouvoir quitter leurs postes, mais la solidarité s’est organisée.

Les chômeuses font grève

Place d’abord aux femmes en recherche d’emploi qui exigent que l’Office régional de placement change son fonctionnement. «De nombreuses femmes sont orientées vers les métiers du nettoyage, de gouvernante ou de garde d’enfants. Des postes dits ‘féminins’, souvent mal rémunérés et qui ne valorisent pas leurs compétences», déplore Iolanda Horner, membre de la commission femmes du Syndicat interprofessionnel (SIT). Nancy Aguirre a vécu et travaillé en tant qu’avocate en Bolivie. Elle ne parvient pas à faire valider ici ses diplômes. Alors qu’elle souhaite aujourd’hui trouver un poste administratif, l’OCE l’incite à rechercher dans le secteur du ménage. «Je réclame des formations mais on me les refuse.»

Autre problème, la question de la garde des enfants. Les travailleuses sont généralement privilégiées dans l’attribution des rares places en crèche, ce qui n’arrange pas les affaires des chômeuses. Sandra* manifeste avec une poussette. En recherche d’emploi depuis février, on lui a directement demandé de fournir une attestation de garde de son enfant, sous peine de perdre le droit au chômage. «Cette question n’est pas posée aux hommes, dénonce-t-elle. On part du principe qu’avoir un enfant entravera forcément notre recherche de travail. Moi je veux faire valoir mes capacités à mener vie professionnelle et familiale. Cela ne devrait pas être un handicap.»

Les silhouettes noires

Nous retrouvons ces femmes à midi sur la place des Grottes. Cette fois, ce sont les travailleuses de l’économie domestique qui sont mises en lumière. La plupart ne font pas grève. «Cela représente un trop grand risque pour elles», explique Mirella Falco, secrétaire syndicale au SIT. Ces salariées subissent des conditions d’emploi très précaires, souvent en situation irrégulière, à la merci du chantage de leurs employeurs. Cette réalité est exprimée sur des pancartes en forme de silhouettes noires. Durant la préparation de la grève, des femmes de ménage gardiennes d’enfants ou aides à domicile ont pu y écrire leurs messages. Ceux-ci sont lus par des femmes solidaires. On y dénonce des salaires de misère, et des emplois sans contrat.

«Nous méritons davantage de respect, estime Yasmine, en congé ce vendredi, qui fait des ménages et garde des enfants dans plusieurs foyers genevois. Notre travail, souvent difficile et peu valorisé, permet à beaucoup de monde de pouvoir se libérer et être actif.» Elle touche 1500 francs par mois et loge chez son employeur. Son vœu le plus cher en cette journée de grève? Que ses collègues puissent être régularisées. «Le travail est important mais voir sa famille est un besoin», dit-elle émue. Elle est en passe d’obtenir ses papiers grâce à l’opération Papyrus et de pouvoir se rendre dans son pays d’origine pour la première fois depuis dix-sept ans.

La visite des hôtels de luxe

Le cortège se poursuit dans l’après-midi et prend encore de l’ampleur. Aux Pâquis, environ quatre cents personnes se lancent dans un défilé devant les hôtels de luxe. Elles soutiennent les femmes de chambre, «des travailleuse invisibles qui doivent nettoyer plus de trente chambres par jour pour des salaires qui ne permettent pas de vivre dignement», déclare Marlène Carvalhosa Barbosa, du SIT. Le minimum conventionnel? Un salaire mensuel de 3470 francs pour des semaines de 42 heures.

Des organisatrices remettent des paniers garnis au personnel des  grands établissements. Première étape, l’hôtel du Président Wilson. Face aux agents de sécurité à l’entrée, la négociation est en cours, il faut un peu de patience mais une femme de chambre finit par sortir récupérer l’offrande syndicale, intimidée par des manifestants plus bruyants que jamais. L’opération est joyeusement répétée à l’hôtel des Bergues. Seul le Kempinski refuse d’envoyer une employée, sous les huées furieuses de la foule.

Orlena, une ancienne femme de chambre, est sans doute l’une des seules représentantes du secteur dans le cortège. Elle décrit des conditions de travail très pénibles. «Le plus dur, c’est le manque de respect de la hiérarchie, explique-t-elle. Le corps est usé, mais ce n’est rien comparé à notre santé mentale. Le problème est que la plupart de ces travailleuses ne connaissent pas leurs droits.» A quoi sert la grève, si aucune femme de chambre ne peut y participer? «A rendre leurs enjeux visibles, répond Marlène Carvalhosa Barbosa. A faire comprendre pourquoi on se bat pour un salaire minimum et des conditions dignes pour ces femmes.»

A 15h24, la manifestation s’arrête. Les femmes croisent les bras et on n’entend plus que le bruit des sifflets et de tambours. La foule ira ensuite se noyer dans le cortège principal à Plainpalais.

Régions Genève Eric Lecoultre Grève des femmes

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